« Tout le monde essaie d’éviter les tensions. D’ailleurs, le mot acier n’a pas été prononcé… » Le grand soleil qui brillait sur Buenos Aires, lundi 19 mars, n’a guère fait illusion : comme le soulignait l’un des participants à la première journée du G20 finances, qui se tient jusqu’au 20 mars dans la capitale argentine, l’atmosphère demeure singulièrement fraîche entre les grandes économies de la planète.

En cause, la décision prise par le président américain Donald Trump de taxer les importations d’acier et d’aluminium, sous couvert d’impératifs de sécurité nationale. Le rendez-vous du club des grands argentiers mondiaux intervient en effet quatre jours seulement avant l’entrée en vigueur, vendredi 23 mars, de droits de douane américains de 25 % sur les importations d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium, à l’exception du Canada, du Mexique et de l’Australie. La Commissaire européenne au commerce, Cécilia Malmström, devait se rendre à Washington mardi et mercredi afin de tenter de négocier le même type d’exemption pour l’Union européenne (UE).

Dans ce contexte, le ministre de l’économie et des finances Bruno Le Maire, toujours très allant dans les enceintes internationales, s’est voulu particulièrement ferme. « Personne ne comprendrait que l’Union européenne, au bout du compte, ne soit pas exemptée globalement de cette augmentation des tarifs sur l’acier et l’aluminium décidée par les Etats-Unis [car] l’Europe n’est pas à l’origine du problème », a-t-il martelé après une rencontre qualifiée de « franche » avec le secrétaire d’Etat américain Steve Mnuchin, lundi après-midi.

Une allusion à peine voilée à la Chine, dont les surcapacités de production d’acier sont décriées depuis des années par ses partenaires commerciaux, mais peu concernée par les menaces américaines, puisque le pays n’est qu’un fournisseur marginal des Etats-Unis en la matière. « Il n’y a pas eu de tension, mais une prise de conscience claire de la gravité du moment », a ajouté M. Le Maire à propos de sa rencontre avec son homologue américain, estimant que « le multilatéralisme reste la solution, mais il ne doit pas être synonyme d’impuissance. Or, la hausse des mesures tarifaires, c’est du protectionnisme, et donc une menace pour notre croissance. »

A la recherche d’un terrain d’entente

Ces déclarations interviennent alors que le ministre allemand de l’économie, Peter Altmaier, a estimé à Washington lundi que les Etats-Unis et l’UE pourraient trouver un compromis dès cette semaine dans ce conflit.

Dès lors, tout l’enjeu du G20 finances de Buenos Aires, qui reste avant tout une enceinte de discussion et non de décision sur ces sujets, sera de savoir si les participants parviendront à trouver un terrain d’entente pour réaffirmer l’importance de la coopération internationale.

« L’Europe ne souhaite pas d’escalade commerciale, mais nous nous tenons prêts à réagir avec des mesures de sauvegarde. Il est important que ce G20 marque que c’est le cadre global de l’organisation mondiale du commerce [OMC] qui a la préférence collective », a de son côté souligné Pierre Moscovici, le commissaire européen aux affaires économiques.

Dans leur communiqué final, attendu mardi, les grands argentiers devraient diplomatiquement éviter de pointer du doigt le « protectionnisme », mot banni des déclarations du G20 depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, pour lui préférer une critique des « inward looking policies », les « politiques tournées vers l’intérieur ».

Une taxe qui ne cible pas que les entreprises américaines

La tension Europe-Etats-Unis est d’autant plus palpable à Buenos Aires que les dissensions commerciales se téléscopent avec l’autre grand sujet du G20 : la mise en place d’une taxation commune des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), ces géants américains du numérique qui multiplient les stratégies d’évitement de l’impôt sur les sociétés. La Commission européenne doit présenter, mercredi, ses propres mesures pour les taxer.

Il s’agira de cibler les revenus des réseaux sociaux et autres moteurs de recherche, en accès gratuit, mais qui fondent leur activité sur l’exploitation des données privées des utilisateurs, à des fins publicitaires. Or, Washington « s’oppose fermement » à ce que ces groupes soient taxés différemment du reste de l’économie, avait asséné Steven Mnuchin.

« Nous n’avons pas choisi le calendrier. Ce n’est pas une taxe anti-GAFA, nous ne ciblons pas les entreprises américaines [mais] une centaine d’entreprises américaines, européennes et asiatiques », précise Pierre Moscovici.

La proposition de la Commission devrait être présentée au Conseil européen du 23 mars, et être suivie d’une discussion approfondie en juin lors de la prochaine réunion des ministres des finances. La Commission espère une adoption par les Etats membres avant la fin de l’année, ce qui permettrait que l’initiative puisse être mise en avant lors des élections européennes de 2019. Un délai extrêmement court à l’échelle de Bruxelles, alors que de nombreux pays, Irlande en tête, s’opposent encore à un tel mécanisme de taxation.