Le réacteur d’Al-Kibar après sa destruction sur une photo non-datée fournie par les autorités américaines en avril 2008. / US GOUVERNMENT / AFP

Parfois, les plus grands succès militaires doivent demeurer confidentiels pour être complets. Plus de onze ans après la destruction lors d’un raid aérien d’un réacteur nucléaire syrien situé dans la région de Deir ez-Zor, Israël a enfin décidé de s’attribuer l’opération, surnommée « Hors de la boîte » (Outside the box). L’armée a partagé un dossier sur ce sujet avec un groupe de journalistes israéliens et étrangers – qui ont dû soumettre leur article à la censure militaire, en vertu de la procédure sur les questions de sécurité nationale.

L’intérêt principal, pour Israël, est d’envoyer un message d’actualité à la communauté internationale. Confronté à l’implantation iranienne en Syrie et au développement d’un arsenal sans précédent entre les mains du Hezbollah libanais, l’Etat hébreu n’hésitera pas à agir militairement, seul si nécessaire, pour assurer sa sécurité.

En outre, cette communication a pour but de répondre, explique-t-on, à la publication des mémoires de l’ancien premier ministre, Ehud Olmert, qui était à la tête du gouvernement au moment des faits. Sorti de prison en juillet 2017 après plus de seize mois d’incarcération pour corruption, il avait rédigé le livre dans sa cellule. La police avait perquisitionné son éditeur, à l’époque, parce que M. Olmert avait utilisé, par le truchement de ses avocats, des documents classés confidentiels pour évoquer le raid de 2007.

Le secret sur cette opération, entretenu par Israël et le régime syrien, guère désireux de confirmer l’existence de son programme clandestin, était en réalité éventé de longue date. Le raid près de la localité d’Al-Kibar a eu lieu dans la nuit du 5 au 6 septembre 2007. Dès les semaines qui ont suivi, la presse américaine avait fait le récit des discussions confidentielles depuis le début de cette année-là entre le gouvernement d’Ehoud Olmert et l’administration Bush, qui ne voulait pas assumer cette opération. Le 25 avril 2008, dans un télégramme diplomatique qui sera par la suite révélé par WikiLeaks, la secrétaire d’Etat Condoleezza Rice confirmait qu’Israël était bien l’instigateur de ces frappes.

Production de plutonium

Les services américains ont cherché à recouper les informations fournies à l’époque par leurs homologues israéliens. Le réacteur visé était « du même type que celui construit par la Corée du Nord » à Yongbyon et « il n’était pas configuré à des fins pacifiques », expliquait le télégramme. Le site devait permettre la production de plutonium. Le document précisait par ailleurs que le réacteur « aurait pu se trouver à quelques semaines » d’un état opérationnel. Israël a pris seul la décision de frapper, même si les Etats-Unis comprenaient ses préoccupations sécuritaires.

Israël avait déjà eu l’expérience d’un raid semblable en 1981, contre le réacteur d’Osirak, en Irak. Il avait illustré la « doctrine Begin », du nom de l’ancien premier ministre, selon laquelle il fallait empêcher tout pays hostile à l’existence d’Israël d’acquérir la capacité nucléaire.

Depuis de longues années, l’Etat hébreu surveillait les efforts de son voisin, dirigé par Hafez Al-Assad, puis par son fils Bachar, pour acquérir un réacteur nucléaire. A partir de la fin 2004, les services israéliens ont commencé à recueillir des informations sur le programme développé avec l’aide d’experts nord-coréens.

En janvier 2006, pour la première fois, l’armée estime posséder des preuves substantielles de ce programme. En avril de la même année, le site est confirmé dans la région de Deir ez-Zor, à 450 km au nord-est de Damas, où des bâtiments suspects avaient été repérés. Début 2007, le Mossad parvient à obtenir des précisions, indiquant alors que le chantier se trouvait dans sa phase finale.

Avertissement

Au cours des mois qui ont suivi, les services impliqués dans ce dossier, côté israélien, ont travaillé dans la plus grande confidentialité. L’enjeu sécuritaire et politique était énorme.

L’année précédente, la seconde guerre au Liban avait exposé les faiblesses du renseignement israélien. Cette fois, le débat au sein du cabinet de sécurité portait sur une escalade militaire possible avec Damas après le raid, qui devait s’inscrire dans un cadre strictement préventif et servir d’avertissement pour toute tentative de prolifération dans la région.

Une grande partie des experts ont estimé qu’en ne revendiquant pas sa responsabilité et en laissant le régime syrien trouver une version officielle à l’incursion aérienne, Israël éviterait un conflit armé. C’est ce qui se passa.

Quatre avions de chasse F-16 décollèrent à 22 h 30, dans la soirée du 5 septembre, des bases de Ramon et de Hatzerim. Peu après minuit, le premier ministre Ehoud Olmert, le ministre de la défense Ehoud Barak et l’état-major au complet se sont retrouvé pour suivre l’opération dans le quartier général de l’armée à Tel-Aviv.

Les avions firent demi-tour à 2 h 30 du matin, après avoir réussi leur mission sans subir de dommages. Le réacteur d’Al-Kibar avait été totalement détruit. Le régime syrien assurera que la cible était un site militaire sans grande valeur.