A 34 ans, la romancière pour adolescents Marissa Meyer caracole en tête du prestigieux classement des best-sellers du New York Times. D’abord éditrice et auteure de fanfiction (des récits d’internautes dérivés d’œuvres célèbres), l’écrivaine originaire de l’Etat de Washington a connu un succès quasi immédiat avec Cinder (Pocket jeunesse, 2013), une adaptation futuriste de Cendrillon où l’héroïne est désormais une cyborg rebelle et combative. Suivront plusieurs tomes revisitant les contes de fée populaires, regroupés dans sa série Les Chroniques lunaires.

Son dernier roman, Le Gang des prodiges (Pocket jeunesse, 2018), était très attendu. Dans cet opus sorti en février dans les librairies francophones, la romancière prend les clés d’un tout autre univers : celui des super-héros. Elle y raconte l’opposition entre une équipe de surhumains qui gouvernent la société et des rebelles qui souhaitent les détrôner. Parmi ces derniers, Nova, une jeune héroïne qui veut venger la mort de ses parents.

Marissa Meyer était l’une des têtes d’affiche du Salon Livre Paris 2018 qui s’est achevé lundi 19 mars et qui consacrait, pour la première fois, un espace à la littérature pour adolescents.

Votre dernier roman, Le Gang des prodiges, est une histoire de super-héros, un scénario qu’on aurait pu lire dans un comics. Pourquoi choisir d’en faire un roman plutôt qu’une BD ?

Je me considère d’abord comme une romancière. L’idée de cette histoire et des personnages m’est d’abord venue sous la forme d’un roman même si, pour ce livre, j’ai été vraiment inspirée par des comics books classiques et des films de super-héros que j’aime depuis toute petite. Cela dit, j’ai quelques idées pour de potentiels spin-off en BD.

Quels éléments sont importants pour écrire un bon roman de super-héros ?

Le registre des super-héros c’est d’abord une question de fantasme par procuration. On voudrait tous avoir des superpouvoirs et on aimerait avoir la possibilité de les utiliser pour faire le bien et la justice. Du coup, pour moi, le plus important à l’écriture était de développer des pouvoirs intéressants et de voir ce que cela pourrait donner si les « prodiges » évoluaient dans le réel. Il s’agissait de voir aussi comment les personnages les utilisent pour rendre le monde plus juste selon eux. Et, dernière chose, il faut mettre beaucoup d’action, de scènes de batailles.

Est-ce que justement il vous a été difficile de retranscrire les scènes de combats à l’écrit ?

J’aime le terme de retranscrire. Beaucoup de scènes que j’écris me donnent l’impression que je suis en train de me passer un film dans la tête. Les scènes de combats sont généralement les plus difficiles parce que mes livres ont des gros castings. Dans Le Gang des prodiges, chaque personnage a des pouvoirs différents, il faut donc bien garder en tête tous ceux qui sont présents dans la scène, où ils sont placés, quelles sont leurs aptitudes… C’est comme une grosse production. Heureusement que ces scènes sont marrantes à écrire.

Une grande part de votre travail repose sur des inspirations populaires et des contes de fée ? Comment évitez-vous le sentiment de déjà-vu des lecteurs ?

J’essaie d’abord d’écrire des livres qui m’enthousiasment. J’aime les contes de fées et je me disais que ça serait amusant d’évoluer dans cet univers. J’aime les contes de fée réinterprétés et j’en ai lu plusieurs ; mais en même temps, quand j’ai commencé Les Chroniques lunaires, personne n’avait projeté ces contes dans un univers futuriste. J’y ai vu beaucoup de potentiel.

C’est une question d’équilibre parce qu’en effet les lecteurs peuvent avoir ce sentiment de déjà-vu avec les contes de fée. J’ai vraiment envie que les lecteurs se sentent dans un univers familier, reconnaissent l’histoire, des détails, des personnages. Mais je consacre beaucoup de temps à réfléchir à comment je peux transformer ces éléments pour les rendre uniques et emmener les lecteurs dans une aventure qu’ils n’attendaient pas.

Le Gang des prodiges, comme la série Les Chroniques lunaires, reposent sur des modèles de société particuliers, qui ont une place importante dans le récit. Est-ce que la politique est importante pour vos récits ?

Ces modèles surviennent toujours comme un outil narratif, un concept de base, mais à un moment donné, il faut construire le monde et la société autour des personnages et cette construction s’accompagne généralement de politique. Je ne m’estime pas particulièrement politisée mais je considère qu’il est important d’être conscient de ce que le gouvernement fait, d’avoir une opinion, de souligner son désaccord. Je n’écris pas mes livres dans un but politique, mais je pense que beaucoup de questions intéressantes à ce sujet peuvent surgir naturellement.

Chaque livre développe ses propres thèmes. Par exemple, dans Le Gang des prodiges, il est question d’un corps politique de super-héros qui ont de bonnes intentions mais qui, dans leur volonté d’aider les gens, renoncent à certains aspects de la liberté de la société. Face à eux, les « anarchistes » défendent beaucoup plus une liberté personnelle.

On souligne souvent la diversité d’origines de votre galerie de personnages. En revanche, vous choisissez la plupart du temps des héroïnes ? Est-ce plus facile à écrire ?

Pas nécessairement. Logiquement, je me reconnais plus dans des personnages féminins. Quand j’écris mes livres j’ai souvent en tête la Marissa ado et je me demande quel genre de personnages elle aimerait lire. Donc j’aime développer des personnages féminins forts avec des hobbies et des aptitudes géniales parce que ce sont des choses que j’admire chez les autres. Toutefois, dans Le Gang des prodiges, c’était aussi très amusant d’écrire du point de vue du personnage masculin Adrian.

A vos débuts, vous avez écrit de la fanfiction sur « Sailor Moon ». Aimez-vous les mangas ?

Je n’en lis plus autant qu’avant. J’en dévorais des tonnes quand j’étais ado : des shojos et tout ce qui contenait des histoires d’amour mais aussi les mangas dessinés par Clamp ou encore Ranma ½. Le manga n’a pas seulement inspiré mes fanfictions mais aussi mon travail aujourd’hui.

Qu’est ce que vous a apporté votre expérience dans la fanfiction ?

Avec la fanfiction, on prend conscience de son lectorat. Si j’avais directement écrit des récits classiques originaux, il n’y aurait pas vraiment eu de monde avec qui j’aurais pu partager mon travail au début. Dans la fanfiction, la communauté de fans inspire, encourage et a un véritable impact sur les auteurs. Ça a eu de l’influence non seulement sur mon style d’écriture, mais aussi cela m’a appris à persévérer et à tenir des dates butoir, parce que les fans attendent un chapitre chaque semaine. Cela m’a appris à être écrivaine professionnelle même si je n’étais pas payée pour ça.

Les romans pour adolescents permettent aux lecteurs de grandir, d’en retirer des leçons. Quel conseil reçu plus jeune aimeriez vous donner à vos lecteurs ?

Je n’écris jamais en pensant faire passer un message spécifique. Mon but est juste de divertir. Ceci étant dit, on va toujours mettre des choses qui nous sont importantes. Une chose que je n’ai pas apprise ado mais que j’aurais aimé recevoir, c’est la question de la confiance en soi à propos de son image et son corps. Quand j’étais mal dans ma peau, j’aurais aimé être capable de prendre du recul sur ça et apprécier le fait que j’étais forte, en bonne santé, que j’avais des atouts. J’aimerais pouvoir revenir dans le temps et dire à mon moi ado : relax, tu es merveilleuse juste comme tu es, ta vie ne va pas être gâchée parce que ta coiffure est nulle aujourd’hui.

Le Gang des prodiges, tome I, de Marissa Meyer, traduit par Guillaume Fournier, Pocket jeunesse, 608 pages, 18,90 euros.