Le logo de Cambridge Analytica sur son site officiel, en 2016, durant l’élection présidentielle états-unienne. / Capture d’écran

Elle devait changer les règles du jeu politique ; voilà qu’elle est au centre d’une affaire de vol de données révélée par le Guardian, le New York Times et The Observer, qui éclabousse autant la Maison Blanche que Facebook, le plus grand réseau social du monde. Création, objectifs, fonctionnement… que sait-on de l’entreprise Cambridge Analytica ?

  • Qu’est-ce que Cambridge Analytica ?

« Data drives all we do » (« Les données déterminent tout ce que nous faisons »). Tel est le slogan de cette entreprise de nouvelles technologies fondée à Londres en 2013. Spécialisée dans l’analyse de données à grande échelle et le conseil en communication, elle se donne pour mission « de changer le comportement grâce aux données » et fonctionne en mélangeant le traitement quantitatif de données, la psychométrie et la psychologie comportementale.

Il s’agit d’une « société fille » de SCL Group, entreprise britannique spécialisée dans le conseil en communication et l’analyse de données, qui compte les ministères de la défense anglais et américain parmi ses clients.

  • Que vend exactement Cambridge Analytica ?

Essentiellement des outils d’influence. Parmi les produits qu’elle commercialise :

- Siphon, un outil d’analyse de l’efficacité des publicités en ligne ;

- Validity, un service de sondage d’opinions à grande échelle ;

- Data Models, un catalogue de types d’électeurs et de consommateurs ;

- Custom Data Manipulation, un système de visualisation des centres d’intérêt du public étudié, ou psychographics.

  • Sur quelle méthode s’appuie-t-elle ?

Cambridge Analytica s’appuie sur le modèle psychologique des Big Five, une construction empirique des principaux types de personnalités. Inventé dans les années 1980, ce modèle fait relativement consensus, notamment dans les services de relations humaines, mais n’est pas exempt de défauts : son manque de rigueur et la place laissée à l’interprétation sont notamment critiqués.

Par ailleurs, l’efficacité des conseils que l’entreprise prodigue à partir de ses domaines d’expertise est loin de faire l’unanimité, tant auprès d’experts indépendants que d’anciens clients.

  • A qui vend-elle ses services ?

Cambridge Analytica revendique un réseau de clients parmi les organisations gouvernementales et non gouvernementales, des entreprises privées de toutes tailles, et « des clients politiques issus de tout le spectre idéologique ».

  • Est-elle politiquement engagée ?

Sur son site officiel, Cambridge Analytica se présentait en 2016 comme « une organisation non partisane ». Elle appartient toutefois en grande partie à la famille du célèbre homme d’affaires de Wall Street Robert Mercer, pionnier du trading algorithmique et principal donateur du républicain Ted Cruz. Les principaux clients politiques de la société britannique sont tous issus des rangs républicains.

Au moins trois candidats républicains à la Maison Blanche ont fait appel à ses services : Ben Carson et Ted Cruz durant la course à l’investiture en 2015, puis Donald Trump durant l’élection présidentielle de 2016. La campagne du magnat de l’immobilier a versé à Cambridge Analytica près de 6 millions de dollars en « gestion de données » et « services de gestion de données ».

Par ailleurs, Cambridge Analytica compte parmi ses fondateurs Steve Bannon, ancien président du site d’extrême droite Breitbart et stratège de Donald Trump durant sa campagne pour la présidence américaine.

Le lanceur d’alerte Christopher Wylie, qui a conçu la partie technologie de l’entreprise, présente Cambridge Analytica comme « la machine à retourner le cerveau de la guerre psychologique de Steve Bannon ». Elle a notamment été employée durant la campagne du Brexit par le camp eurosceptique, selon Christopher Wylie ; ce que Cambridge Analytica réfute.

  • Pourquoi est-elle dans la tourmente ?

Cambridge Analytica est accusée d’avoir utilisé des données de 30 millions à 70 millions d’utilisateurs de Facebook, recueillies sans leur consentement, en passant par un quiz développé par un universitaire anglais, Aleksandr Kogan, et sa société Global Science Research (GSR).

Samedi 17 mars, le Guardian, The Observer et le New York Times ont révélé que les données récoltées par GSR pour le compte de Cambridge Analytica l’ont été à l’insu des internautes concernés, en présentant le quiz comme un simple exercice académique, alors que celui-ci absorbait les données non seulement des participants, mais aussi de leurs « amis » Facebook.

Par ailleurs, la chaîne britannique Channel 4 a révélé lundi dans un reportage en caméra cachée que les pratiques de Cambridge Analytica s’étendent à la diffusion volontaire de fausses informations, à l’espionnage d’adversaires politiques, au recours à des prostituées et à la corruption pour manipuler l’opinion publique à l’étranger, selon les mots de son propre dirigeant, Alexander Nix, filmé à son insu.

  • Ces révélations sont-elles nouvelles ?

Pas totalement. Dès la fin de 2015, au moment de la course à l’investiture républicaine qui a précédé l’élection présidentielle américaine de 2016, le Guardian évoquait l’origine douteuse des données exploitées par la firme.

  • L’entreprise était-elle au courant que ses données avaient été obtenues de manière malhonnête ?

Dans sa page de politique de confidentialité, Cambridge Analytica assume collecter des informations personnelles sur les internautes grâce à des applications tierces, soit d’entreprises extérieures qui leur revendent les données, soit par des formulaires diffusés pour son compte – ce que faisait GSR.

Néanmoins, il n’est pas possible d’affirmer que la firme britannique savait avant la publication de l’enquête du Guardian, à la fin de 2015, que ces données avaient été obtenues sans le consentement des utilisateurs concernés.

L’entreprise a contesté la véracité des enquêtes publiées à son propos et assure ne pas avoir utilisé les données Facebook volées durant la campagne de Donald Trump. Cambridge Analytica a néanmoins suspendu son dirigeant, Alexander Nix, au lendemain de la diffusion de ses propos sur Channel 4.