Mark Zuckerberg a-t-il réussi à éteindre l’incendie allumé par l’exploitation indue des données personnelles de 50 millions des membres de Facebook ? Malgré un mea culpa et la promesse de mesures correctives, le jeune patron du réseau social n’a pas calmé toutes les inquiétudes. La dégringolade du cours de Bourse a continué jeudi 22 mars. Au lendemain des quatre interviews accordées par le dirigeant à la presse américaine, le titre Facebook a reculé de 2,66 %, soit une baisse de presque 11 % depuis le 16 mars. Ou l’équivalent de 58,4 milliards de dollars (47,3 milliards d’euros) de capitalisation boursière partie en fumée.

« A court terme, c’est la succession d’informations, de “une” consacrées au sujet, et l’implication des politiques qui pèsent sur le cours de Bourse », analyse Benoît Flamant, responsable des investissements dans le numérique de la société de gestion Finaltis. « Le cours remettra peut-être un ou deux trimestres à retrouver de la vigueur », corrobore Brent Thill, analyste au sein de la banque Jefferies.

Si les investisseurs sanctionnent l’action, c’est aussi parce que l’affaire entourant les agissements du sous-traitant de la campagne de Donald Trump – Cambridge Analytica – représente une polémique de plus pour Facebook.

Les enquêtes sur les agissements d’agents russes ayant utilisé le réseau social pour diffuser des messages politiques et des « fake news » pendant les élections récentes a déjà entamé sa réputation. « La deuxième lame de rasoir fait toujours plus mal que la première », philosophe M. Flamant.

« Il n’y aura pas de conséquences à court terme »

Dans l’immédiat, Facebook est pourtant loin de la bérézina : sur un an, son cours de Bourse reste en croissance de 17,5 % et de 495 % sur cinq ans… L’entreprise affiche un chiffre d’affaires de 40 milliards de dollars en 2017, pour un bénéfice net de 15 milliards. Si, ces derniers jours, le hashtag #deletefacebook, a été énormément relayé dans les médias, il n’a été mentionné que 41 000 fois sur Twitter, dont 1 500 fois en France, selon Digimind. Des chiffres « faibles au regard des 1,4 milliard d’utilisateurs actifs chaque jour », euphémise l’institut. Combien de membres de Facebook ont-ils fermé leur compte ? « Pas un nombre significatif », a assuré Mark Zuckerberg. « Nous n’anticipons pas de défections importantes d’utilisateurs, relativise M. Thill, jugeant les réactions dans la presse exagérées. J’ai demandé à mes enfants et mes amis s’ils allaient supprimer leur compte Facebook, ils m’ont tous regardé avec des yeux ronds… » Quitter un réseau social si bien implanté dans la population n’est pas facile.

Du côté des annonceurs, certains ont exprimé leur mécontentement. A l’image de Mozilla, l’éditeur du navigateur Firefox, qui a suspendu ses campagnes publicitaires. L’ISBA, l’organisme britannique qui représente 3 000 annonceurs, rencontre Facebook ce vendredi et attend des « garanties » de la part du réseau social, sans quoi les investissements publicitaires pourraient baisser.

Mais publicitairement, la crise que traverse Facebook n’a rien à avoir avec celle qui a frappé YouTube en 2017. A l’époque, des agences et des annonceurs avaient boycotté la plate-forme car des publicités y apparaissaient dans des vidéos violentes. Il y avait pour eux un risque d’image. « Cette fois-ci, il n’y aura pas de conséquences à court terme, au plus quelques semaines de fléchissement. Les plans marketing sont déjà calés pour 2018 », estime le cadre d’une grande agence.

Deux milliards d’utilisateurs

« L’affaire ne change rien pour nos annonceurs car nous respectons le cadre de la loi et il n’y a rien d’illégal dans ce que l’on fait », argumente Jean-Philippe Chevret, directeur général de l’agence de publicité en ligne Neo@Ogilvy, qui rappelle l’attractivité de Facebook et ses « plus de 300 de choix de ciblage ».

« On reviendra au “business as usual”, peut-être avec des garde-fous supplémentaires sur la gestion des données personnelles. Les annonceurs resteront accro aux 2 milliards d’utilisateurs de Facebook », prédit Jessica Liu, de Forrester Research.

A long terme, la succession de polémiques risque pourtant d’abîmer l’image de Facebook. « Ces affaires peuvent nourrir une forme de scepticisme et de doute sur le modèle de ces réseaux sociaux », met en garde un cadre du secteur de la publicité. Le « deal » au cœur de ces plates-formes – un service gratuit en échange d’un ciblage publicitaire – pourrait-il être rompu ? « Les gens pourraient-ils payer d’une autre manière ? Nous y avons réfléchi », a reconnu Mark Zuckerberg dans le New York Times. Avant de réaffirmer sa fois dans le modèle publicitaire : « C’est important qu’un service comme le nôtre puisse être utilisé par tout le monde sur la planète et la seule manière est qu’il soit gratuit ou très peu cher. »

Pour autant, les poursuites en « class action » et la pression du pouvoir politique, soucieux d’imposer une régulation, peut déstabiliser le management de Facebook, à l’image d’IBM ou de Microsoft, paralysés par les procédures antitrust, prévient M. Flamant. « Cela crée en interne une menace diffuse. La moindre décision remonte au PDG et l’entreprise devient moins compétitive, moins réactive, les avocats prennent le pouvoir. »

Il y a quelques jours, tout le monde dans le milieu a remarqué que la part de marché du « duopole » Facebook et Google allait pour la première fois baisser un peu en 2018 aux Etats-Unis, selon eMarketer : tous deux ne s’arrogeraient plus « que » 19,6 % et 37,2 % de la publicité. Mais cette inflexion s’expliquerait surtout par la montée en puissance d’Amazon (2,7 %) et Snap (1 %). Des géants du numérique en remplacent d’autres.