L’esprit d’Hegel et de Rabelais souffle sur le parc de La Villette dont on fête cette année le 35e anniversaire du projet originel livré en 1983 par l’architecte franco-suisse Bernard Tschumi. L’année précédente, le concours international initié par Jack Lang, ministre de la culture de François Mitterrand, portait en préambule deux formules, l’une du philosophe allemand (1770-1831), l’autre de l’écrivain français (1483 ?-1553), pour donner naissance, dans le 19e arrondissement, au plus grand espace vert (33 hectares) de l’intra-muros parisien depuis les travaux du baron Haussmann au XIXe siècle.

La première, « La nature se trouvant ainsi transformée en une vaste demeure sous le ciel ouvert… », est extraite de l’Esthétique (1835) ; la seconde, « Fay ce que voudras », figure au fronton de la première utopie littéraire, la fameuse abbaye de Thélème dans Gargantua (1534). A cela s’ajoutait une règle d’apparence plus pragmatique, que rappelait en 1985 la chercheuse, spécialiste d’histoire urbaine, Danièle Voldman dans la revue Vingtième siècle : il ne doit s’agir « ni d’un square, ni d’un bois aux portes de la ville, ni de logements sociaux ou de prestige au milieu de pelouses et de bosquets ».

« Un équipement culturel de plein air »

Ainsi, l’approche de cet espace, dont il était dit qu’il ne pouvait se limiter à l’attrait des « seuls délices du paysage » devait répondre à des principes d’ordre architectonique, chers à Hegel, en devenant « un équipement culturel de plein air ». Dernière condition : le lieu devait, enfin, pouvoir être ouvert jour et nuit.

A Paris, La Villette fête ses 35 ans ce week-end

La conception de l’ensemble devait intégrer la présence de l’ancienne Grande Halle aux bœufs, dernier vestige du site de l’ancien abattoir devenue une salle de concerts, et celle d’un musée qui deviendra quelques années plus tard la Cité des sciences et de l’industrie de la Villette. A ces deux institutions se sont ajoutés le conservatoire de Paris et la cité de la musique, signés par Christian de Portzamparc et, depuis peu, la Philharmonie réalisée par Jean Nouvel.

472 candidats de 37 nationalités ont répondu à cette singulière proposition. Choisir un lauréat fut difficile

472 candidats de 37 nationalités ont répondu à cette singulière proposition. Choisir un lauréat fut difficile. Le jury, que présidait l’urbaniste paysagiste brésilien Roberto Burle Marx, l’artisan de Brasilia, et qui comptait notamment les architectes italiens Vittorio Gregotti et Renzo Piano – ce dernier coauteur du Centre Georges Pompidou –, ne fut, majoritairement, satisfait d’aucun des projets qui lui avaient été soumis. Les auteurs de neuf d’entre eux furent toutefois extraits de l’ensemble auxquels il fut demandé d’approfondir leurs sujets. De cet écrémage, Bernard Tschumi, à peine 39 ans à l’époque, fut ainsi retenu.

Sa proposition met en œuvre un système « de points, de lignes et de surfaces », un vocabulaire directement inspiré du premier des peintres auteur d’une œuvre dite abstraite, Vassily Kandinsky. Implantés tous les 120 mètres selon une trame régulière, les points en question sont matérialisés par vingt-six folies couleur sang érigées sur une base carrée de 10,80 mètres de côté. Ces rutilantes « fabriques », qui évoquent les constructions ludiques des parcs et jardins royaux du XVIIIe siècle, assurent des fonctions de passage, de transition (pont, belvédère, écluse) ou d’activité fixe (cafés, billetterie, atelier, information ou kiosque).

10 millions de visiteurs par an

Les lignes, qui suggèrent des parcours de déambulation Nord-Sud ou Est-Ouest, sont dessinées par des chemins souvent coiffés d’une pergola de métal ondulante ou qui pénètre différents univers sensoriels, comme autant de jardins dans le jardin. Quant aux surfaces, ce sont ces étendues herbeuses libres de tout programme et destinées, pour l’essentiel, au délassement et/ou à la contemplation. Chaque année, 10 millions de visiteurs, disposés à la déambulation, à la distraction ou au farniente, viennent fréquenter les lieux.

Bernard Tschumi, architecte : « J’aime ce projet parce qu’il continue à changer »

« J’aime ce projet parce qu’il continue à changer, indique Bernard Tschumi. Ça n’est pas un changement dans l’idée générale, mais dans la manière dont il vit, dont se le sont approprié les gens. » Dans l’histoire de l’architecture, le parc de la Villette a acquis « une place presque mythique », poursuit-t-il. Tout jeune architecte connaît le parc, la manière dont il est conçu. »

Les changements les plus visibles aujourd’hui – outre la vue d’oiseau sur le site que permet l’accessibilité du toit de la Philharmonie – concernent les 26 folies que l’actuel président de l’Etablissement public du parc et de la Grande Halle de La Villette (EPPGHV), Didier Fusillier, entend intégralement réhabiliter. Et l’homme d’imaginer de nouveaux lieux d’activités culturelles, des « micro folies », qui essaimeraient dans tout le territoire francilien. Depuis un an, la ville de Sevran (Seine-Saint-Denis) a déjà la sienne. D’autres suivront.

Le week-end des 24 et 25 mars, le parc de La Villette fête ses 35 ans. Spectacles, conférences, ateliers, expositions, visites, pour la plupart en entrée libre. Renseignements : lavillette.com, visites-guidees@villette.com et #35ansVillette