Une peinture murale de Banksy, à Dover, au Royaume-Uni, le 19 mars. / DANIEL LEAL-OLIVAS / AFP

Vendredi 23 mars, la première ministre britannique, Theresa May, devait repartir du Conseil européen avec la « période de transition » qu’elle réclame ardemment depuis des mois. De leur côté, les Vingt-Sept ont adopté leurs « lignes de négociation » pour la relation future avec Londres. Ces avancées sont importantes, mais à un an du « D-Day » du Brexit, le 29 mars 2019, beaucoup reste encore à faire afin d’éviter une rupture trop brutale entre le Royaume-Uni et le continent.

  • Où en est-on dans le divorce ?

Le 29 mars 2019 à minuit, le Royaume-Uni sera formellement sorti de l’Union européenne, conformément au vote de 51,9 % des électeurs britanniques lors du référendum du 23 juin 2016. La procédure de retrait, décrite par l’article 50 du traité de Lisbonne, prévoit que les liens juridiques sont rompus deux ans après que l’Etat sortant a notifié sa décision. C’est ce que la première ministre Theresa May a fait, le 29 mars 2017.

Après avoir fixé les modalités du divorce, Européens et Britanniques doivent désormais ouvrir les négociations au sujet de leur « relation future ». Ils visent un accord définitif en octobre, pour donner le temps aux Parlements – Westminster, le Parlement européen, et éventuellement ceux des Vingt-Sept – de se prononcer avant le 29 mars 2019. A ce jour, Mme May entend toujours sortir son pays du marché intérieur et de l’union douanière constitués avec ses voisins européens, mais ne parle plus d’un « Brexit dur ».

L’enjeu est d’importance : une rupture brutale au « Jour-J » reviendrait, comme disent les Britanniques, à « sauter de la falaise ». Elle risque d’être catastrophique pour l’économie du Royaume-Uni, dont 45 % des exportations vont vers l’UE, et grave aussi pour celle de l’Europe continentale (17 % des exportations vers le Royaume-Uni), surtout si elle impliquait l’imposition de droits de douane. Un tel scénario serait aussi dramatique dans d’innombrables domaines, de la sécurité jusqu’à l’environnement en passant par l’aviation et l’énergie nucléaire, puisque cesseraient alors de s’appliquer les règles communes et les systèmes d’échange d’information.

  • Qu’est-ce que la période de transition ?

Pour éviter le « saut de la falaise », Londres a donc demandé et obtenu une période de transition (que Mme May préfère appeler « période de mise en œuvre ») qui doit durer vingt et un mois, entre le 30 mars 2019 et le 31 décembre 2020. Pendant cette période, le Royaume-Uni, devenu un pays tiers, restera soumis aux règles européennes, sans pouvoir plus peser sur les décisions communes.

Les modalités de la période de transition ne sont d’ailleurs pas totalement acquises. Elles sont destinées à être incluses dans le traité consacrant la rupture, en cours de négociation, qui doit être approuvé par le Parlement de Westminster et par le Parlement européen. A Westminster, il est peu probable – mais possible – que ce traité soit rejeté par une alliance entre le Labour et les « rebelles » conservateurs proeuropéens. Les ultra-brexiters menacent également de voter contre si la période de transition transforme le pays en « Etat vassal » de l’UE. Le feu vert du Parlement européen n’est pas non plus certain : celui-ci sera particulièrement sensible au sort des expatriés européens et à celui de l’Irlande.

Dès juin, un premier vote aux Communes sur une loi sur le commerce donnera le ton. Le Labour et les conservateurs « rebelles » pourraient voter de concert un amendement favorable au maintien du pays dans une union douanière européenne, ce que refuse Mme May. S’ils le font, la première ministre pourrait être mise en minorité. Les proeuropéens espèrent que cette crise débouche sur un second référendum. Mais l’opinion publique britannique, si elle penche désormais légèrement contre le Brexit, n’a pas changé notablement et le résultat d’une telle consultation, elle-même hypothétique, apparaît aléatoire.

  • Qu’est-ce qui est déjà réellement agréé ?

Au-delà de la période de transition, tant que tous les détails n’ont pas été agréés, rien n’est définitivement acquis. Mais des accords politiques ont été trouvés sur des points essentiels, et, pour la plupart, Londres a dû s’aligner sur les exigences des Vingt-Sept. Le sort des expatriés, par exemple : avec leur famille, ils pourront continuer à bénéficier de tous leurs droits de résidence après le Brexit. Idem pour les expatriés européens arrivés durant la période de transition.

Les Britanniques ont aussi accepté de s’acquitter de toutes leurs obligations dans le cadre du budget de l’Union, y compris après la date du Brexit. lls se sont aussi engagés à continuer à prendre leur part du paiement des retraites des fonctionnaires européens. Le « chèque » de retrait pourrait atteindre entre 40 et 50 milliards d’euros.

Enfin, le Royaume-Uni a aussi admis que la relation future prendrait la forme d’un accord de libre-échange. Pas question, pour les Européens, d’octroyer une « relation spéciale » au pays, qui lui ménagerait un accès à son marché intérieur, sans qu’il n’en respecte plus les règles.

  • Quels droits pour les expatriés européens et britanniques après le Brexit ?

Rien ne changera donc en termes de droits, ni pour les continentaux expatriés au Royaume-Uni, ni pour les Britanniques installés sur le continent pendant la période de transition, soit entre le 30 mars 2019 et le 31 décembre 2020. Les Européens ayant l’intention de séjourner plus de trois mois au Royaume-Uni et arrivant pendant cette période devront toutefois s’enregistrer auprès du Home Office (ministère de l’intérieur). Une concession de taille de la part du Royaume-Uni, quand on se souvient que la campagne des partisans du Brexit, en 2016, a surtout consisté à dénoncer l’arrivée massive de citoyens européens, Polonais en tête, depuis l’élargissement de l’UE.

La règle générale est que les continentaux arrivés au Royaume-Uni avant le 30 mars 2019 et y ayant vécu « de façon continue et légale » pendant cinq ans pourront obtenir un statut de résident permanent, à durée illimitée. Comme aujourd’hui en tant que citoyens européens, les expatriés auront le droit aux prestations sociales britanniques et pourront demander la nationalité britannique.

Les personnes arrivées avant le 30 mars 2019 mais n’ayant pas vécu déjà cinq ans dans le pays auront le droit de rester jusqu’à ce qu’ils aient atteint ces cinq ans de résidence et puissent demander le statut de résident. Les proches (époux et partenaires, enfants et petits-enfants) pourront les rejoindre si leur lien est antérieur au 30 mars 2019. Alors que la procédure d’obtention du statut de résident permanent relève aujourd’hui du casse-tête, le gouvernement britannique promet un nouveau processus en ligne « simplifié, rapide et convivial ».

Mais selon la campagne « The 3 million », qui défend les trois millions d’Européens installés au Royaume-Uni, 10 % des intéressés pourraient en être exclus et perdre leurs droits aujourd’hui acquis sans démarche dans le cadre de l’UE, soit que leur dossier soit rejeté, soit qu’ils omettent d’en déposer un. A l’en croire, le flou entoure le statut des personnes pendant le temps d’attente des cinq années de résidence. Le cas des personnes au chômage, parents au foyer ou handicapés non couvertes par une assurance santé privée (Comprehensive Sickness Insurance, ou CSI) inquiète aussi l’association, car ils pourraient être privés d’accès au service de santé public. Quant au type de contrôle frontalier qui sera en vigueur à partir de 2021, une fois passée la « transition », il reste à négocier, et demeure donc dans le flou.

  • Quid du casse-tête irlandais ?

Sans cesse débattue, jamais résolue, la question de la frontière entre les deux Irlandes menace de faire capoter toute la négociation sur le Brexit. Le Brexit va faire de cette frontière disparue depuis l’accord de paix de 1998 une frontière extérieure de l’Union européenne. Mais y réinstaller des postes frontières reviendrait à recréer autant de cibles pour les groupuscules terroristes résiduels et menacerait la paix. Londres prétend que des innovations technologiques permettent de contrôler les échanges commerciaux (reconnaissance des plaques d’immatriculation, drones) sans aucune installation visible. L’UE remarque qu’aucune frontière dans le monde n’a réalisé une telle prouesse, qui relève de la « pensée magique ».

Les Vingt-Sept souhaiteraient que l’Irlande du Nord – province du Royaume-Uni – s’aligne sur la réglementation européenne pour éviter les contrôles. Mais cette solution, qui conduirait à instaurer des contrôles entre l’Irlande du Nord et la Grande-Bretagne, relève de l’anathème pour le Parti démocratique unioniste (DUP), qui défend le Brexit (rejeté par 56 % des Irlandais du Nord). Or, il se trouve que Theresa May est tributaire de ce petit parti, dont les dix députés à Westminster lui fournissent l’appoint indispensable à sa majorité au Parlement.

Un premier accord entre Londres et les Vingt-Sept, signé en décembre 2017, envisage trois options, sans trancher : reporter la question au futur traité de libre-échange entre l’UE et le Royaume-Uni (option A), accepter une solution technologique proposée par Londres (option B) ou « aligner totalement » l’Irlande du Nord sur les règles européennes. L’accord sur la « période de transition » confirme que faute d’accord sur les options A et B, l’option C s’appliquera. Or, c’est celle dont Theresa May a dit qu’« aucun premier ministre britannique ne pourrait l’accepter ».

  • Quels sont les sujets de contentieux sur la relation future ?

La discussion sur la relation future n’a pas formellement commencé à Bruxelles. Le mandat obtenu vendredi 23 mars par Michel Barnier, le négociateur en chef de l’UE, précise que Bruxelles veut négocier un traité de libre-échange avec Londres, avec des droits de douane nuls pour les marchandises transitant entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept.

Pour ce qui est des services financiers, une question clé pour les Britanniques, soucieux de défendre les intérêts de la City, les Européens veulent imposer un système d’équivalences permettant aux établissements financiers britanniques d’avoir un large accès aux places continentales. Mais ces accès seraient révocables à tout moment, et unilatéralement, par Bruxelles.

En ce qui concerne la gouvernance, Bruxelles et Londres doivent encore mettre en place des mécanismes pour trancher leurs différents futurs, ou pour vérifier que leur accord sera bien respecté. La Cour de justice de l’UE aura t-elle le dernier mot ? Il n’en est pas question pour Londres. Doit-on adopter un système de règlement des différends, doté de juges indépendants, ou moitié européens, moitié britanniques ? Les négociateurs ont encore du pain sur la planche.