Arnaud Montebourg était invité par l’association de conférences et débats de l’IESEG, le 19 mars, pour une conférence  intitulée : « De Bercy à l’entrepreneuriat made in France ». / La Tribune IESEG

L’étudiant grimpe en cavalant les marches de l’amphi : « J’ai pissé avec Montebourg ! En vrai, il était à côté de moi dans les chiottes… – La classe ! », approuve une copine. « Viens, on se met devant dans l’amphi. » Quand on tient une telle proximité avec un ancien ministre, on ne peut pas y renoncer.

Depuis le show de Laurent Wauquiez à l’EM Lyon en février, c’est devenu une gageure de parler devant une école de commerce. Certes, l’Institut d’économie scientifique et de gestion n’est pas l’Ecole de management de Lyon et Montebourg est en retrait de la vie politique. Mais à l’heure où cette stratégie est devenue monnaie courante, cela ne veut plus dire grand-chose. La dernière fois qu’Arnaud Montebourg a essayé, ça n’a pas marché. Lui qui avait parié si tôt sur l’empêchement de François Hollande de se présenter à la présidentielle s’est fait doubler sur l’extérieur par Emmanuel Macron dans sa stratégie de l’outsider…

Pourquoi Montebourg ? « Il est assez accessible maintenant. Et puis il a du temps. » Un étudiant de l’IESEG

Sur leurs tablettes dans l’amphi, certains ont posé son livre sur la démondialisation, d’autres celui sur « la bataille du made in France ». Pourquoi Montebourg ? « Il est assez accessible maintenant », m’explique un étudiant de La Tribune IÉSEG, l’association qui l’a invité. « Et puis il a du temps. » Joanny Hervé, président de l’association, se charge du discours d’introduction. « Chers amis, quel immense plaisir de vous voir si nombreux… J’ai rarement vu cet amphithéâtre si rempli. » Ses congénères se regardent et gloussent. D’accord, Joanny avait préparé son texte à l’avance, mais il aurait pu s’adapter devant un amphi à moitié vide.

« De Bercy à l’entrepreneuriat », dit l’affiche. L’ancien ministre est plus volubile sur la première partie de l’intitulé. « Notre déficit commercial chronique est extrêmement dangereux, lance-t-il. Le poids de l’industrie dans le PIB est de 19 % en Italie, nous, on est à 11 %, on est devenu la lanterne rouge en Europe. » Il dit aussi que notre problème en France, c’est qu’on passe notre temps à nous critiquer nous-mêmes, que ce problème d’estime de soi fait partie de notre culture.

Evidemment, il a des remarques sur la politique économique actuelle. « Un fonds pour l’innovation de rupture à 10 milliards, franchement c’est petit bras. » L’Europe ? « J’ai lu les discours du président de la République, je les trouve naïfs. Ça va un moment d’enfiler les perles… L’Union européenne demande une vision plus forte. » A propos des accords européens qu’« il faut mépriser dans la pratique », il explique à un étudiant : « Ton traité, tu peux emballer le poisson avec parce qu’il ne vaut plus rien ». Le professeur Montebourg conseille ainsi à ses étudiants d’éviter « la finance qui va s’écrouler ». Dommage, c’est la spécialité de l’école. « Tout le secteur financier va être mis par terre », prévient-il, par le shadow banking, l’activité de banque hors les banques qui n’est pas réglementée. « Vous recommandez autre chose qu’un master finance ? », l’interroge une étudiante un peu inquiète. « Allez dans l’industrie, c’est là qu’est la vraie vie. »

« La politique aime les divisions et les subdivisions. L’entrepreneuriat, ce n’est que l’unité. L’entreprise, c’est une force capable de résoudre les problèmes, un outil de transformation du monde. » Arnaud Montebourg

Oubliée la politique, Arnaud Montebourg est entrepreneur. Peut-être même qu’il l’a toujours été. « J’ai lancé des courants, j’ai lancé des idées, j’ai été start-upeur en politique et j’ai fait faillite… » Start-upeur au moins, on peut échouer, ce n’est pas comme homme politique ou gérant de SARL, comme on appelait autrefois les patrons de PME. « La politique, c’est la lutte de tous contre tous. La politique aime les divisions et les subdivisions. L’entrepreneuriat, ce n’est que l’unité. L’entreprise, c’est une force capable de résoudre les problèmes, un outil de transformation du monde. » Passer de la politique à l’entrepreneuriat, « être seul et y croire ou être obligé d’avaler des couleuvres pour être plus puissant. Qu’est-ce qu’il vaut mieux ?, réfléchit-il à voix haute. Ça dépend ».

Mais pour qui a-t-il donc voté ?

« Pour finir, on vous a préparé un petit Konbini », lui annonce un étudiant. Autrement dit, deux mots qui s’affichent sur un mur entre lesquels l’invité doit choisir. Trump ou Poutine ? Poutine ! Faure ou Cambadélis ? Faure ! La Fouine ou Booba ? Joker… Allez, La Fouine. Dans les applaudissements, on en a oublié l’écran suivant, Blum ou Jaurès ? Il n’a pas non plus eu le temps de parler des amandes, sa dernière activité d’entrepreneur. Pour le miel, il a fallu attendre une heure. Alors à la fin de son intervention, des dizaines de jeunes abeilles butinent autour de lui et viennent lui poser les questions qu’elles n’ont pas osé poser sur les élections passées. Ça doit lui faire du bien d’en parler : à l’époque de la présidentielle, personne ne s’était inquiété de savoir pour qui il était allé voter. A se demander même s’il y était allé.

Un an plus tard, il raconte qu’il n’était pas question pour lui de soutenir Manuel Valls, ni de voter Emmanuel Macron trop à droite, qu’il n’allait pas rallier Benoît Hamon et sa proposition de revenu universel dont il ne s’est toujours pas remis (« quelle démobilisation de la société »). Son soutien aurait pu aller à Jean-Luc Mélenchon, mais pas celui des Tweet. On n’en saura pas plus. Tout juste confie-t-il, qu’il « ne veut plus voter par défaut… J’ai fait ça toute ma vie, lâche celui qui a trente ans de PS derrière lui. Maintenant je vote blanc. »