Editorial du « Monde ». Trois ans après les terribles attentats de Paris, contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher puis le Bataclan, deux ans après la tuerie de la promenade des Anglais à Nice, l’assassinat du père Hamel à Saint-Etienne-du-Rouvray et celui de deux policiers à Magnanville, l’on pouvait espérer que la menace du terrorisme djihadiste s’était estompée. L’on pouvait croire que la défaite militaire de l’organisation Etat islamique (EI) en Syrie et en Irak, en 2017, face à la coalition internationale, dont la France était partie prenante, aurait coupé les racines de la « guerre sainte » que le djihadisme voulait porter contre l’Occident en général et la France en particulier.

L’attentat commis, vendredi 23 mars, dans la banlieue de Carcassonne (Aude), les quatre morts et les quinze blessés qu’il a laissés derrière lui avant que le terroriste qui en était l’auteur ne soit abattu par les forces de gendarmerie, démontrent, hélas, qu’il n’en est rien. L’EI a perdu une bataille en Syrie et en Irak. Mais le djihadisme, lui, n’a pas renoncé à la guerre contre les « infidèles », les « juifs », les « croisés » et contre les libertés des sociétés démocratiques qu’il exècre.

La chute de l’entité territoriale fondée par l’Etat islamique, le « califat » autoproclamé à cheval sur la Syrie et l’Irak, a certes tari le mouvement des départs vers le Levant et les ressources du mouvement, donc la capacité à former des combattants aguerris, à l’instar du réseau complexe et étendu qui a commis les attentats de Paris, Saint-Denis et Bruxelles. Mais la force de l’EI, contrairement à Al-Qaida, est de savoir transformer ses défaites – comme il l’a fait par le passé de ses victoires – en puissant moteur de recrutement et de passage à l’action.

Désir de vengeance

La chute de Mossoul, en Irak, puis de Rakka, en Syrie, les deux « capitales » du « califat », accompagnées de destructions considérables, alimentent désormais le martyrologe du groupe et le désir de vengeance de ses adeptes. L’EI avait anticipé ses défaites militaires sur le terrain syro-irakien et adapté son discours en appelant ses sympathisants à le venger partout où ils le pourraient.

Il ne suffira pas, pour venir à bout de l’idéologie et du projet mortifères de l’EI, de le priver de son territoire et de le défaire militairement au Moyen-Orient. Le combat se jouera désormais, pour ce qui nous concerne, en France. Et ce sera un combat de longue haleine. Il passe évidemment par une vigilance incessante des forces de sécurité. Si le dispositif antiterroriste a été constamment renforcé depuis trois ans, si la surveillance a permis de déjouer une dizaine de projets d’attentats ces derniers mois, il n’empêche – et ce n’est pas s’y résigner – que le risque zéro n’existe pas en la matière.

Après celui de la gare Saint-Charles à Marseille (qui a fait deux victimes en octobre 2017) et les tentatives, entre février et août 2017, à Levallois-Perret, Notre-Dame de Paris, Orly, les Champs-Elysées ou le Carrousel du Louvre, l’attentat de Carcassonne démontre que le terrorisme artisanal, si l’on ose dire, suffit pour tuer.

Ce combat passe également par l’organisation de l’islam de France. Il est urgent de l’encourager à dénoncer vigoureusement le djihadisme – cette maladie dégénérative de l’islam –, de lui donner les moyens de l’isoler, avant de l’éradiquer. Cette entreprise, annoncée par le président de la République, est complexe. Mais elle doit être menée sans relâche. C’est une des clés de la sécurité du pays.