Perquisition au domicile du terroriste Radouane Lakedim à la cité Ozanam, à Carcassonne. / ULRICH LEBEUF / MYOP POUR LE MONDE

La question du suivi des personnes radicalisées est à nouveau d’actualité, alors que Radouane Lakdim, auteur des attaques qui ont fait quatre morts dans l’Aude vendredi 23 mars, faisait l’objet d’une « fiche S ».

Nathalie Cettina, juriste et directrice de recherches au Centre français de recherche sur le renseignement, a répondu aux questions des lecteurs du Monde.fr.

Sacha : Selon quels critères un individu est fiché S ?

Nathalie Cettina : Le fichier S regroupe les personnes soupçonnées de radicalisation. Sur les 20 000 noms de personnes fichées S, environ 10 000 personnes le sont en lien avec le terrorisme.

Les personnes « fichées S » sont inscrites plus largement dans le fichier des personnes recherchées, le FPR, qui permet de savoir si les individus inscrits dans le fichier sortent ou non du territoire. C’est là son principal intérêt. Il permet de connaître les déplacements des individus.

La centralisation des individus à risque est effectuée dans un autre fichier qui est le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Ce sont ces cibles que se répartissent ensuite les services de renseignement.

L’absence de connexion entre les deux fichiers explique qu’un individu surveillé dans l’un puisse ne pas figurer dans l’autre.

Veganou : Les fichés S ne sont-ils pas trop nombreux pour être surveillés correctement ? Combien sont-ils ?

Sur les 20 000 « fichés S », 10 000 le sont en lien avec le terrorisme. Le fichier S constitue seulement un système d’alerte, il ne s’agit pas d’un module dynamique d’observatoire de la mouvance terroriste. La présence d’un individu dans un fichier n’est pas déterminante dans le passage à l’acte.

La présence dans un fichier rassure dans l’inconscient collectif, mais connaître les individus ne signifie pas les surveiller. C’est le renseignement de terrain et le travail humain qui est la base de la lutte antiterroriste. Seul un travail de proximité et un maillage territorial fin avec des agents au plus près du terrain permettent de remonter les informations, de comprendre, de savoir et d’anticiper.

Estelle : Que peut faire concrètement l’Etat pour empêcher de telles horreurs de se répéter, vu que les services de renseignement faillissent dans la détection d’un passage à l’acte ?

Le fait de ficher des individus n’est pas la solution miracle permettant d’appréhender les terroristes. Il ne faut pas véhiculer l’idéologie du fichier, qui ne remplacera jamais le travail de terrain. Une personne inscrite dans un fichier n’est pas pour autant un terroriste.

Sur les 17 393 individus inscrits au fichier du signalement pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste, environ 4 000 individus, les plus dangereux, sont suivis par la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Le reste des signalés est réparti parmi les autres services de renseignement.

Ce fichier fournit une photographie à un instant t des personnes connues comme radicalisées. Il ne permet pas de savoir ce que fait un individu mentionné dans le fichier. C’est ensuite le travail de renseignement réalisé sur le terrain qui permet d’appréhender la dangerosité, les connexions, et d’anticiper un passage à l’acte.

La vitesse de radicalisation de certains individus, leur évolution en vase clos, de manière solitaire, rend difficile le travail des services. Il importe que les services redonnent tout son poids au renseignement humain, élément essentiel d’un travail de prévention, comme savaient le faire en leur temps les renseignements généraux (RG).

CheBo : Pourquoi renvoyer des « fichés S » étrangers dans leur pays d’origine pose-t-il tant de problèmes ?

Nombre de « fichés S » sont de nationalité française. Les fichés S ne sont pas de facto des terroristes, et il n’existe pas de qualifications pénales qui permettraient de justifier une expulsion du territoire. Les signaux de radicalisation ne sont pas en soi répréhensibles.

Ces fiches constituent uniquement un système d’alerte et n’ont pas vocation à pénaliser une action. Il ne faut pas croire que les terroristes potentiels sont inscrits dans un fichier, quel qu’il soit : ce serait trop simple. Les rouages psychologiques du passage à l’acte sont complexes, les déclencheurs multiples, une répression « préventive » n’aurait aucun sens.

JmeX : Est-ce que l’Etat se donne vraiment les moyens de lutter contre la menace permanente ?

L’ensemble des services de renseignement ont vu leurs moyens augmenter depuis 2012, tout particulièrement la DGSI. Avec 4 400 collaborateurs en 2018, elle aura connu un accroissement de ses capacités humaines de 36 % en cinq ans. Ces renforts, humains et budgétaires, ont été affectés à 80 % à la lutte antiterroriste.

Peu de services de renseignement dans le monde ont connu une croissance aussi forte. Des structures des coordinations (Emopt, CNR, CNCT) ont aussi été mises en place, notamment au niveau de la présidence de la République.

Les moyens existent, ensuite la question est celle des techniques de collecte du renseignement, de la coordination des informations, du maillage territorial, de la connaissance des territoires, et de la vision prospective que les structures veulent bien avoir du phénomène terroriste.