Editorial du « Monde ». Alors que le climat est devenu un enjeu politique dont plus personne – hormis l’administration américaine, Donald Trump en tête – ne remet en cause l’importance, la question de la biodiversité demeure un point aveugle du débat public. Cette cécité est dangereuse. En effet, les cinq rapports d’experts, qui viennent d’être publiés par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), dressent le plus vaste panorama publié à ce jour sur l’érosion du vivant à la surface de la planète. Cet état des lieux est alarmant et appelle une réponse urgente.

Selon l’IPBES – l’équivalent, pour la biodiversité, du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) – l’érosion de la qualité des sols et le déclin rapide des formes de vie sont de graves menaces pour le bien-être des hommes et la stabilité des sociétés. Car outre sa valeur intrinsèque et inestimable, la nature prodigue aux humains des services indispensables au fonctionnement de nos économies et, surtout, nécessaires au maintien de la vie. Pollinisation des cultures, disponibilité en eau douce, fertilité des terres arables, protection contre les inondations et les précipitations extrêmes, productivité biologique des océans… La biodiversité est « au cœur non seulement de notre survie, mais aussi de nos cultures, de nos identités et de notre joie de vivre », souligne l’IPBES.

Sur la question climatique, l’action est entravée par le caractère mondial du problème – une molécule de dioxyde de carbone aura le même effet sur le climat, qu’elle soit chinoise ou américaine. Mais sur le front de la biodiversité, la vacance du politique est d’autant plus incompréhensible que les solutions relèvent généralement de mesures simples que les gouvernements peuvent prendre localement, indépendamment les uns des autres.

Une cause majeure : le modèle agricole

En Europe, selon l’IPBES, la cause majeure du déclin de la biodiversité est le modèle agricole dominant et son cortège d’éléments chimiques (insecticides, herbicides, engrais de synthèse, etc.). En Amérique aussi, les immenses monocultures de soja et de maïs sont les principaux facteurs de destruction de la diversité du vivant, ajoutent les experts du « GIEC de la biodiversité ». Mardi 20 mars, le CNRS et le Muséum national d’histoire naturelle ont d’ailleurs conjointement, eux aussi, rendu publics des chiffres accablants sur la disparition des populations d’oiseaux dans les campagnes françaises, attribuant ce déclin – 30 % en l’espace de seulement quinze ans – à l’intensification de notre agriculture.

De tels chiffres, tout comme ceux établis par l’IPBES, imposent une action urgente, sans demi-mesures. La disparition des oiseaux n’est que la part visible d’une dégradation profonde de la qualité des écosystèmes terrestres, dont le déclin des insectes (près de 80 % en Europe, au cours des trois dernières décennies !) est un autre signe alarmant. La mort, il y a quelques jours, du dernier représentant mâle du rhinocéros blanc du Nord est un autre symbole de la capacité humaine à anéantir une espèce.

Jusqu’à présent, la biodiversité a été considérée comme une question annexe, traitée avec désinvolture par les responsables gouvernementaux et politiques. Il est plus que temps de remettre la préservation du vivant, au sens le plus large du terme, au cœur de la politique. Il n’est pas exagéré de dire que c’est, à plus ou moins longue échéance, une question de survie.

Ces oiseaux des campagnes françaises menacés d’extinction