Cameron Bancroft, interrogé par les arbitres de la rencontre face à l’Afrique du Sud, a admis avoir tenté d’altérer l’état de la balle. / GIANLUIGI GUERCIA / AFP

Dans les pays qui furent un jour membre de l’Empire britannique, on ne plaisante pas avec le cricket. Méconnu hors du Commonwealth, le sport de battes, balles et guichets rayonne au Royaume-Unis, en Inde – où c’est le sport le plus suivi –, au Pakistan et en Australie, tenante du titre mondial. Et la volée de bois vert qui s’abat sur l’équipe nationale de l’île-continent à la suite d’une tentative de triche lors d’une rencontre contre l’Afrique du Sud est à la hauteur de l’amour que suscite ce sport down under.

L’aveu de culpabilité, samedi 24 mars, du capitaine australien, Steve Smith, a scandalisé sa nation et déclenché une enquête qui égratigne la culture de la gagne d’une équipe nationale se targuant – jusque-là – d’être la garante de « l’esprit » de ce jeu ancestral. Une égratignure sur une balle de cricket, c’est d’ailleurs par là qu’est venu le scandale.

Lors du troisième test-match contre l’Afrique du Sud, samedi au Cap, l’Australien Cameron Bancroft s’est servi de ruban adhésif pour recueillir des particules abrasives sur le terrain et en frotter la balle, afin de l’érafler et de modifier ainsi sa trajectoire prévisible. Sa filouterie démasquée par les caméras, les images étant diffusées en direct dans le stade, le joueur a – de manière presque comique – tenté de dissimuler l’objet du délit dans son pantalon.

Le premier ministre s’émeut du scandale

Interrogés sur l’épisode à la fin de la rencontre, Steve Smith et Cameron Bancroft ont reconnu avoir ourdi un complot lors de la « pause déjeuner » (lors des test-matchs de cricket, les rencontres se déroulent en trois sessions allant de la matinée à la soirée), déclenchant un énorme scandale en Australie. Des légendes de test-matchs, compétitions qui se déroulent sur cinq jours et constituent le format le plus prestigieux du cricket, se sont indignées, de même que la Commission australienne du sport.

Même le premier ministre australien, Malcolm Turnbull – dont les habitants de l’île-continent aiment à dire que son poste est le plus prestigieux du pays… derrière celui de capitaine de l’équipe de cricket – s’est ému du scandale, évoquant « une amère déception ». « Cela défie complètement l’entendement de voir l’équipe australienne mêlée à la triche », a-t-il tancé. Et de rappeler que les joueurs de cricket australiens se doivent d’être des modèles « pour la nation entière, qui place ceux qui revêtent le baggy green [casquette verte, et par métonymie le surnom des joueurs] sur un piédestal ».

« Cette honte va au-delà du sport, renchérit sur Twitter Dan Roan, rédacteur en chef de la BBC, pour qui la fierté nationale a été ébranlée. Le baggy green est vénéré en Australie. Mais il a été piétiné par une mentalité de victoire à tout prix et une culture hypocrite et méchante qui laisse l’équipe avec peu d’amis. »

Triche à l’aide de terre, de morsure ou de bonbons

Dans cette affaire, et comme souvent dans le sport, il y a la loi et l’esprit de la loi. Si l’on s’en tient aux règles du cricket, le ball tampering est une infraction de niveau deux (sur quatre) pouvant occasionner des points de pénalité et une suspension d’un match pour les joueurs reconnus coupables. Une faute, mais pas si grave que ça. D’ailleurs, trouver des façons de modifier la trajectoire de la balle est une pratique aussi vieille, ou presque, que ce sport. Et plusieurs équipes internationales ont été reconnues coupables par le passé de ce procédé, reconnu par des joueurs du monde entier.

De l’ancien capitaine anglais Michael Atherton, qui a recouru à de la terre dans sa poche pour augmenter la rugosité de la balle, à un joueur pakistanais ayant tenté de mordre l’objet de liège et de cuir pour en modifier la structure, les joueurs ne manquent pas d’imagination quand il s’agit de traficoter les balles. Même l’actuel capitaine de l’Afrique du Sud, Faf du Plessis, dont l’équipe jouait face aux Australiens, a été accusé d’un tel forfait à deux reprises : une fois en grattant le cuir avec une fermeture Eclair, une autre en l’enduisant de salive rendue collante par un bonbon.

Plus que la tentative de triche, donc, ce qui a déclenché l’ire des Australiens – des éditorialistes à la machine à café en passant par les réseaux sociaux et le gouvernement – est la préméditation collective reconnue par le capitaine des Aussies. Plutôt que de nier, chose ardue tant les images de la tentative de triche et les plans de coupe sur ses coéquipiers y assistant d’un air entendu sont révélateurs, Steve Smith a admis face à la presse une « décision des leaders du groupe ».

« Je ne donne pas de noms, mais on en a discuté. [Cameron Bancroft] était dans les parages, on en a parlé et on y a vu une façon potentielle d’obtenir l’avantage. Finalement, ça n’a pas marché : les arbitres n’ont pas constaté de changement de comportement de la balle ou dans son apparence. C’était un choix malheureux, et nous regrettons vraiment ces actions. »

Le capitaine suspendu pour le prochain match

Pour un sport qui a inscrit en préambule de ses règles qu’il doit « son attrait unique » au fait « qu’il doit être joué non seulement en respectant les règles, mais aussi en respectant l’esprit du jeu », le coup est violent. D’autant que cet incipit rend « les capitaines responsables du fair-play de leur équipe et du respect de l’esprit du jeu » ; autant de points sur lesquels Steve Smith semble avoir failli.

Si l’International Cricket Council (ICC, la fédération internationale) a suspendu Smith pour le quatrième test (à partir de vendredi à Johannesburg) en raison de sa « contribution à discréditer le sport », Bancroft, qui a écopé d’une sanction en cours de match, pourra être aligné face aux Sud-Africains. Une sanction a minima qui ne satisfait guère les observateurs australiens, qui réclament le retrait du capitanat à Smith, voire une interdiction à vie d’équipe nationale pour le joueur de 28 ans, que certains considèrent comme le meilleur batteur australien de l’histoire.

Les « unes » de la presse australienne n’épargnent pas l’équipe nationale. / PETER PARKS / AFP

« Hey Cricket Australia, show some balls », tempête le Courrier Mail dans son édition de lundi, réclamant de sévères sanctions contre les instigateurs de cette triche généralisée. Et l’ensemble de la presse australienne suit cette requête.

Considéré de longue date comme un sport de gentlemen, le cricket est plus qu’un sport en Australie. Il compte 1,4 million de licenciés pour 24 millions d’habitants. On met au crédit de cette discipline britannique d’avoir contribué, par ses idéaux et son sens de la morale, à façonner l’âme de la nation australe. Revêtir la casquette verte de l’équipe nationale y est considéré comme sacré, un honneur dont ont bénéficié à peine 450 personnes. Et dans l’ancienne colonie britannique, qui a en grande partie forgé son identité nationale à travers le sport, il en découle de grandes responsabilités.

Venu en urgence en Afrique du Sud pour tenter d’éteindre l’incendie, le responsable de la fédération Cricket Australia (CA), James Sutherland, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur l’incident. Et a précisé que Steve Smith et son second, David Warner, avaient accepté de remettre leur casquette de capitaine et vice-capitaine pour la fin du test-match.