Roland-Garros 2015, dernière apparition de Federer sur le central du court Philippe-Chatrier. / PASCAL GUYOT / AFP

Chronique. Ces dernières semaines, les supporteurs français de Roger Federer voulaient y croire. L’an dernier, le Suisse, qui faisait son retour après une demi-saison 2016, les avait snobés porte d’Auteuil pour se ménager et mieux préparer son rendez-vous fétiche de Wimbledon. Et puis il y avait la menace des Nadal, Djokovic, Murray, Wawrinka…, alors ils l’avaient excusé. Ils lui avaient d’autant plus donné l’absolution que son pari s’était révélé gagnant, avec un 19e titre du Grand Chelem soulevé un mois plus tard sur le gazon londonien.

Cette fois, tous ses principaux rivaux sont à ce jour hors jeu. Djokovic ? Le Serbe a été l’ombre de lui-même à Indian Wells et à Miami, et peine à retrouver ses fondamentaux depuis son opération au poignet. Murray et Wawrinka ? Convalescents (le premier soigne sa hanche, le second a toujours le genou abîmé). Nadal ? Touché à la cuisse depuis le début de l’Open d’Australie, son cas interroge à l’approche de la saison sur ocre.

Maître des horloges

Alors, pourquoi ? La raison est aussi prosaïque que stratégique : pour durer, tout simplement. « J’aimerais encore jouer le plus longtemps possible », s’est-il justifié samedi 24 mars, après son élimination au premier tour du tournoi de Miami, où il était le tenant du titre. Federer, 36 ans et presque huit mois, n’a plus joué depuis 2015 sur la terre battue parisienne. Trop d’ajustements à consentir, pas assez de garanties : des quatre tournois du Grand Chelem, Roland-Garros est celui qui lui a toujours posé le plus de difficultés. Il ne l’a gagné qu’une fois, en 2009.

Sacrifier Paris pour préserver sa longévité. Le prix à payer est évidemment plus fort pour les organisateurs du tournoi, Guy Forget (par ailleurs aussi directeur de Bercy, que le Suisse boycotte depuis 2015) en tête : un Federer, même à cloche-pied, même enrhumé, restera toujours meilleur VRP du circuit qu’un Marin Cilic ou un Jack Sock au sommet de leur art.

Hormis chez ses admirateurs éplorés, cette décision est, sinon saluée, du moins admise. Aucun joueur n’y trouvera à redire, avant tout parce que cette stratégie se révèle – jusqu’à présent – salutaire. Et puis, osons le dire, parce qu’il s’agit de Roger Federer. En maître des horloges, le Suisse impose son rythme. Il en a toujours été ainsi depuis qu’il règne sur le circuit.

Les Français et Françaises qui zappent la Coupe Davis ou la Fed Cup sont les premiers blâmés, quand jamais aucune critique ne l’a, lui, effleuré. Le numéro deux mondial (il a abandonné son trône à Nadal après sa défaite à Miami) n’a pourtant pratiquement jamais disputé l’épreuve au cours de sa carrière. Sauf quand il s’est agi d’ajouter une ligne manquante à son palmarès, face aux Français justement, en 2014. Mais, contrairement aux Gasquet, Tsonga ou Monfils, lui n’a plus rien à prouver. Vingt titres du Grand Chelem, 308 semaines passées à la place de numéro un mondial, 97 titres en simple, pour ne citer que quelques-uns de ses records.

« Il prend toujours la bonne décision »

Tout le monde s’incline devant Sa Majesté. Les joueurs se plaignent auprès des instances de l’ATP (l’Association des joueurs de tennis professionnels) d’un calendrier surchargé ? Lui décide d’organiser un tournoi d’exhibition grassement rémunéré, à la fin septembre, sur le modèle de la Ryder Cup : la Laver Cup. Et tous s’y ruent pour se partager le gâteau.

« N’être plus écouté : c’est cela qui est terrible lorsqu’on est vieux », disait Albert Camus. Le sage Federer a beau être le doyen du circuit, son aura n’est pas prête de s’affaiblir. Les réactions de ses pairs après sa décision de faire l’impasse sur Roland-Garros pour la troisième fois consécutive sont là pour en témoigner. « Là où j’admire Federer, c’est qu’il prend toujours la bonne décision, se prosterne ainsi Marcos Baghdatis dans L’Equipe. C’est ça qui le rend plus fort. »

Et tant pis si c’est au détriment de ses admirateurs. Cette fois, les « Federerophiles » français lui pardonneront-t-il ? Sur les réseaux sociaux, certains charrient les esprits chagrins en leur soumettant une suggestion : créer deux circuits ATP distincts. Un pour les joueurs « ordinaires » du circuit, un autre spécialement pour Roger Federer, « avec des tournois et des adversaires choisis, afin de faire vivre la légende ».