Une minute de silence a été respectée à l’Assemblée nationale le 27 mars. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Entre gravité affichée et tension retenue, les députés et le gouvernement ont rendu hommage, mardi 27 mars, à l’Assemblée nationale, aux victimes des attentats perpétrés dans l’Aude. Cinq jours après les attaques qui ont fait quatre victimes, à Carcassonne et dans un supermarché de Trèbes (Aude), les élus se sont retrouvés après les premières critiques de l’opposition sur l’action du gouvernement dans la lutte contre le terrorisme.

La séance de questions au gouvernement – exceptionnellement réorganisée pour permettre à chaque groupe politique de s’exprimer avant une longue réponse du premier ministre – a été marquée par le souvenir d’un homme. « L’image [du terroriste] abattu par les forces de l’ordre s’efface derrière celle d’un héros, le lieutenant-colonel Beltrame », a déclaré Edouard Philippe avant de poursuivre :

« Il incarne la République, il est son image, son corps. Il s’inscrit dans une longue histoire de Françaises et de Français civils ou militaires qui se sont tenus droits au moment où le pire survenait. Cette image, ce courage m’impressionne, nous impressionne et nous renvoie au fond à un sentiment mêlé d’immense fierté et de très grande humilité. »

Peu avant, les présidents de groupe avaient eux aussi salué l’acte de bravoure du militaire, abattu par le terroriste après s’être substitué à une femme retenue en otage dans le supermarché de Trèbes. « Dans cette noirceur absolue a surgi une lumière (…). Nous nous inclinons devant le courage incroyable dont il a fait preuve », a souligné le président du groupe MoDem, Marc Fesneau. « Le mal a été vaincu car la scène a été inversée », a ajouté Jean-Luc Mélenchon, évoquant un homme qui a « remis le monde humain en ordre ». « Il a réaffirmé la primauté de la compassion, il a assumé la primauté d’un altruisme absolu, celui qui prend pour soi la mort possible de l’autre », a poursuivi le leader de La France insoumise. Des phrases qui ont fait se lever l’ensemble des députés de l’Assemblée nationale. Inédit pour celui qui suscite bien plus souvent l’agacement de ses collègues que leurs applaudissements.

« Surenchère démagogique »

Mardi, l’heure n’était pourtant pas toujours à l’unité nationale dans l’hémicycle, un lieu où les députés avaient chanté La Marseillaise le 13 janvier 2015 après les attaques contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Dans chacun des discours, les traces des polémiques de ces derniers jours, lancées par la droite et l’extrême droite, sont resurgies. « Nous pensons que le temps est venu de prendre de nouvelles décisions », a ainsi lancé Christian Jacob, président du groupe de droite, en reprenant les propositions avancées par Laurent Wauquiez, lundi, comme le retour de l’état d’urgence, l’enfermement pour les « individus français radicalisés et fichés » et l’expulsion du territoire de ceux de nationalité étrangère. N’étant pas présidente de groupe – le FN ne dispose pas de suffisamment de députés pour en former un –, Marine Le Pen n’a pas eu la parole. Dans la matinée, elle avait tenu une conférence de presse à l’Assemblée au cours de laquelle elle avait notamment plaidé pour la révision du code de la nationalité. « Il faut arrêter avec le droit du sol et arrêter l’acquisition systématique par différents biais de la nationalité française », avait-elle déclaré.

Ses sorties médiatiques de ces derniers jours, comme celles de M. Wauquiez, ont fait réagir d’autres présidents de groupe. Jean-Christophe Lagarde, président de l’UDI, a plaidé pour « un moment de cohésion nationale et pas de confusion nationale », évoquant un « concours Lépine de la solution miracle ». « Personne ne devrait [tirer] prendre parti du malheur qui nous frappe pour une surenchère démagogique », a renchéri Olivier Faure, président du groupe Nouvelle Gauche et nouveau premier secrétaire du Parti socialiste. « A notre tour de refuser à l’ennemi quelque victoire que ce soit et d’abord celle de la division et de la confusion », a lancé M. Mélenchon, qui a pris le contre-pied des critiques à l’égard du gouvernement, se disant « certain que [le gouvernement] a, dans ces circonstances, fait tout ce qui était en [son] pouvoir pour faire du mieux qu’[il pouvait] ». « Devant la barbarie mes chers collègues, l’essentiel tient en l’attitude des hommes », a également déclaré M. Fesneau.

Deux camps

Le premier ministre a riposté à la droite et à l’extrême droite. « Ceux qui affirment, sans savoir, que cet attentat aurait pu être évité, ceux qui croient pouvoir promettre aux Français un risque zéro, je le dis : ceux-là prennent, dans leur légèreté, une bien lourde responsabilité », a déclaré M. Philippe. Il a jugé « légitimes » les « interrogations » de l’opposition, tout en les écartant une à une. Pas question de revenir à l’état d’urgence alors que la loi antiterroriste votée en septembre a fait entrer dans le droit commun certaines des prérogatives de cet état d’exception. « J’entends le débat sur les fichés S, certains disent expulsez-les tous, enfermez-les tous, a-t-il poursuivi. C’est méconnaître l’Etat de droit, on ne peut pas être privé de sa liberté sur la base de soupçons. » Edouard Philippe n’a pas non plus oublié les déclarations de l’un de ses prédécesseurs, Manuel Valls, qui avait évoqué, dimanche, la possibilité d’interdire le salafisme. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses », a déclaré le premier ministre, avant de conclure : « On ne peut pas interdire une idée, on peut sanctionner les comportements qu’elle entraîne. »

« Ce combat ça n’est pas seulement le combat du gouvernement, de ce gouvernement, c’est un combat qui sera long et qui sera difficile », a conclu le premier ministre :

« Nous savons tous, tous ceux qui ont été aux responsabilités le savent et je suis sûr qu’au fond d’eux-mêmes tous ceux qui aspirent aux responsabilités le savent, c’est un combat difficile. »

Dans l’hémicycle, cependant, deux camps se distinguaient clairement à la fin de son discours. D’un côté, la majorité, les socialistes, les centristes, les insoumis et les communistes. Ceux-là étaient debout pour applaudir. De l’autre, ses anciens camarades de banc du groupe Les Républicains, et les quelques députés du Front national présents, dont Marine Le Pen, la présidente du parti d’extrême droite. Ces derniers étaient assis et silencieux.