Le suspense n’était pas au rendez-vous, samedi 24 mars au soir, lors de l’annonce des résultats provisoires des premières élections sénatoriales ivoiriennes. Sur la RTI, la télévision nationale, Victoire Alley, la porte-parole de la Commission électorale indépendante (CEI), a égrené les scores obtenus dans les 33 circonscriptions électorales du pays, répétant le même acronyme : « RHDP ».

Le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, né de l’alliance notamment entre le Rassemblement des républicains (RDR), du président Alassane Ouattara, et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), de l’ancien président Henri Konan Bédié, s’est facilement imposé, raflant 25 régions du pays. De leur côté, le Front populaire ivoirien (FPI), de l’ancien président Laurent Gbagbo, toujours jugé à la Cour pénale internationale (CPI), et les autres partis d’opposition avaient boudé les urnes, estimant l’organisation du scrutin illégale.

Avec deux sénateurs par liste, le pouvoir remporte donc 50 sièges au futur Sénat, 16 autres revenant aux candidatures indépendantes. A ces 66 élus vont s’ajouter 33 sénateurs directement désignés par le chef de l’Etat d’ici au 10 avril, date de l’installation de la nouvelle chambre parlementaire à Yamoussoukro, la capitale administrative.

« Une élection illégitime »

La création du Sénat est un serpent de mer de la politique ivoirienne. Le projet a été évoqué pour la première fois en 1995, mais les crises politiques successives qui ont traversé le pays l’ont constamment retardé, jusqu’à ce que le sujet soit de nouveau remis sur la table par Alassane Ouattara, en 2015, durant sa campagne pour un second mandat. La mise en œuvre de cette promesse a été rendue possible grâce à l’instauration d’une nouvelle Constitution adoptée par référendum en novembre 2016 et donnant naissance à l’actuelle IIIe République.

Les 66 premiers sénateurs ont été élus par un collège de 7 010 grands électeurs, composé des députés et des conseillers municipaux, régionaux et des districts autonomes d’Abidjan et Yamoussoukro. Ne possédant que trois sièges à l’Assemblée et ayant également boycotté les scrutins locaux précédents, le FPI n’avait donc aucune chance de décrocher un siège sénatorial. « Nous ne comprenons pas que des élus en fin de mandat issus de la République précédente puissent voter pour des sénateurs, déplore Jean Bonin Kouadio, secrétaire général adjoint du FPI. Nous ne reconnaîtrons pas ce Sénat né d’une élection illégale et illégitime»

Les partis d’opposition ne tarissent pas de critiques au sujet de la nouvelle chambre haute. Mais leur première cible reste la CEI, qu’ils ne considèrent ni indépendante ni équilibrée et dont ils réclament la réforme. Ses détracteurs, parmi lesquels la star du reggae Tiken Jah Fakoly, s’appuient sur un arrêt de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples rendu en novembre 2016, selon lequel l’actuelle CEI contrevient aux normes internationales. Le gouvernement a rétorqué que cette décision ne comportait aucun caractère contraignant. Pour enfoncer le clou, le premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, a déclaré publiquement, en février, que la CEI était issue d’un consensus de tous les partis politiques.

La seconde cible des opposants, c’est le chef de l’Etat lui-même, qui a fixé la date des sénatoriales via une ordonnance et non par une loi organique, comme le prévoit le Code électoral. « Nous avons engagé toutes les procédures de recours auprès de la Cour suprême, mais nous n’avons jamais obtenu de réponse, affirme Jean Bonin Kouadio. Comme le permet notre Constitution, nous allons multiplier les actions de masse. Alassane Ouattara ne nous laisse pas d’autres choix que d’occuper la rue. » Le bras de fer a déjà commencé. Jeudi 22 mars, une manifestation de la plate-forme d’opposition Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS) a été empêchée par les forces de l’ordre à coups de gaz lacrymogène et d’interpellations de militants.

« Des leaders coupés de leur base »

Le triomphe du RHDP aux sénatoriales n’est pas total. Si la coalition présidentielle a fait le plein à Abidjan avec 100 % des voix, des bastions du pouvoir ont été remportés par des outsiders. A Yamoussoukro, la liste indépendante (60,42 % des voix) écarte celle de Jean Kouakou Kouadio, maire PDCI depuis dix-sept ans. Idem à Bouaké, deuxième ville du pays et base de l’ex-rébellion pro-Ouattara, où le RHDP n’a pas su convaincre.

« Ces résultats prouvent que les leaders du RHDP sont coupés de leur base, qui a préféré sanctionner le pouvoir en choisissant des indépendants, analyse Sylvain N’Guessan, directeur de l’Institut de stratégie d’Abidjan. Cela montre que le jeu politique s’ouvre davantage à l’approche des élections locales et régionales prévues cette année. »

De fait, la coalition montre de nombreux signes de faiblesse. Le président Ouattara souhaite voir le RDR et le PDCI se fondre dans une seule et même formation. Mais la perspective de cette fusion s’est éloignée, le 10 mars, lorsque les figures du parti historique ont ouvertement déclaré leur opposition au projet et leur volonté de présenter un candidat issu de leurs rangs à la présidentielle de 2020.