Deux injonctions de la Haute Cour de justice n’auront pas suffi à sortir Miguna Miguna des toilettes de l’aéroport international de Nairobi, où cet opposant clame être détenu depuis son arrivée, lundi 26 mars, sur le sol kényan. Saisi par ses avocats, le tribunal a ordonné aux autorités que l’opposant lui soit présenté mercredi matin. En vain : l’institution a dû réitérer sa demande mercredi midi, sans plus de succès.

« Je suis détenu dans des toilettes petites et sales, sans accès à une hygiène de base ni aux besoins nécessaires. On ne m’a pas fourni de nourriture, d’eau, d’assistance médicale, pas plus qu’on ne m’a accordé le droit d’être conseillé », dénonçait pendant ce temps, sur sa page Facebook, celui qui fait la une des journaux kényans depuis plusieurs jours.

Citoyen canadien

Figure secondaire de l’opposition, sans aucun mandat électoral ni rôle clé dans l’élection présidentielle de 2017, Miguna Miguna a été propulsé sur le devant de la scène politique et médiatique après une première arrestation début février. Il venait alors de participer, le 30 janvier, à la cérémonie symbolique d’investiture de Raila Odinga, leader de l’opposition, comme « président du peuple du Kenya », quelques semaines après celle, officielle, du chef de l’Etat, Uhuru Kenyatta.

Après ce qui constitua le point culminant des tensions entre les deux ténors de la politique kényane, Miguna Miguna avait semblé payer pour les autres : alors que Raila Odinga n’avait pas été inquiété, lui avait été expulsé du pays.

L’argument présenté par les autorités ? Sa nationalité. Selon Nairobi, Miguna Miguna utilisait depuis plusieurs années un passeport kényan illégalement obtenu et résidait ainsi sans autorisation sur le territoire. Reconnu comme citoyen du Canada seulement, il avait été placé de force dans un avion à destination de ce pays. L’expulsion, menée dans la précipitation et sans plus d’explications de la part du gouvernement, avait fait vivement réagir la coalition d’opposition, NASA, pour qui ces méthodes témoignaient du virage « autoritaire » d’un régime qui venait de couper la diffusion des trois principales chaînes de télévision privées du pays.

« Dès le départ, cette affaire s’est faite en dehors de toute procédure légale, dans des circonstances très floues et en totale contradiction avec les égards dus à la citoyenneté, qui est censée être le caractère de droit le plus protecteur », souligne George Kegoro, de la Commission kényane des droits humains (KHRC), pour qui la situation actuelle de l’opposant reste floue.

Bras de fer

M. Miguna, clamant sa bi-nationalité, n’était pas sans savoir que son retour, annoncé sur les réseaux sociaux, sans passeport kényan à présenter, allait générer une nouvelle confrontation avec les autorités. Comme le souligne une source judiciaire, « Miguna Miguna a refusé de présenter son passeport canadien pour obtenir un visa, estimant que cela revenait à endosser la position du gouvernement ». Entre-temps, la Haute Cour a réaffirmé que M. Miguna, né au Kenya, possédait bien cette nationalité et a ordonné qu’il soit libéré afin d’être entendu, puis qu’un passeport lui soit délivré. « En totale défiance de la Cour, le gouvernement semble maintenir qu’il n’est pas kényan », ajoute cette source.

Difficile de prédire comment va s’achever ce bras de fer, qui, selon le quotidien Daily Nation, a transformé « une approche maladroite en catastrophe sur le plan des droits humains ». Pour George Kegoro, la posture du gouvernement, qui agit « comme si ses intérêts étaient menacés » par Miguna Miguna, est difficilement lisible. « Je pense qu’une faction du gouvernement bloque sa libération, esquisse le directeur exécutif du KHRC, afin de semer la division entre Raila Odinga et Uhuru Kenyatta », dont la réconciliation officielle, le 9 mars, avait surpris. Victime une première fois de la bataille qui avait fait rage entre Odinga et Kenyatta, Miguna Miguna serait alors, cette fois, victime de leur alliance.