L’avis du « Monde » – à voir

Révélé durant le Festival de Cannes 2017 dans la petite mais vigoureuse section de l’ACID, ce remarquable documentaire consacré à la transformation de longue haleine d’une fille du Midwest en garçon passablement testostéroné sort, par les hasards de la programmation, un mois après Finding Phong, de Tran Phuong Thao et Swann Dubus, qui relatait quant à lui la délicate métamorphose d’un garçon vietnamien en jeune fille. Nonobstant le sens du changement et ses implications différentes, ces deux documentaires ont en partage ce qui les rend si intéressants : le respect absolu de leur sujet, l’intérêt pour le mouvement psychologique accompagnant le processus, l’inclusion dans le film d’une chronique filmée au long cours, réalisée par l’intéressé(e).

Christian Sonderegger, qui n’est autre que le demi-frère français de Coby (lien apparemment complexe qu’il n’a pas souhaité évoquer dans le film), arrive dans l’après-coup, alors que le jeune homme de 29 ans est déjà un solide ambulancier de nuit, vivant avec son amie Sara. Son film enregistre cet état de fait, en s’ouvrant sur des scènes de la vie quotidienne dont le spectateur est à mille lieues d’imaginer qu’elles se rapporteront à ce type de sujet. Puis le film redéploie lentement le modus operandi de la métamorphose qui a mené sa jeune demi-sœur Suzanna, à l’âge de 23 ans, à décider de changer de sexe, à se prénommer Coby, à vivre en couple avec Sara et à faire accepter ces modestes bouleversements.

Cannes 2017 : « Coby », de Christian Sonderegger, portrait de la nouvelle vie d’un transgenre
Durée : 03:33

Humour distancié et acide

Etonnamment apaisé, marqué par l’humour distancié et acide qu’instille Coby dans le récit de sa propre histoire, le film n’en porte pas moins les ondes du plus grand tremblement de terre intime que peuvent vivre tant un individu qu’une famille. Les parents, le frère, la petite amie, le médecin, tous ici se révèlent formidables, quand bien même un trouble très profond et des pointes de dépit – et comment ne pas le comprendre ? – s’entendent du côté du père et de la mère. Le film donne à voir à quel point cet environnement, passé les orages évoqués d’une jeunesse terriblement insatisfaite puis du coming out, a même pu protéger Suzanna dans un processus dont le film ne nous cache pas, par ailleurs, la lourdeur. Prise de testostérone, ablation des seins et de l’utérus, utilisation d’une prothèse et d’un « pisse-debout », questionnements sur l’incompatibilité entre la pose chirurgicale d’un pénis et la gestation d’un enfant : autant d’étapes que seule l’exigence impérative d’une libération peut permettre de tolérer.

Il y a enfin ce sentiment de fantastique que distille le film, qui naît du contraste entre la trivialité d’une petite ville américaine et le caractère exceptionnel de la situation des personnages (cette conversation à l’épicerie entre Coby et Sara, dans laquelle elle lui dit, à proximité du caramel corn et des lollipops, qu’elle rêve toujours de lui avec un pénis !). Sentiment qui provient aussi du brassage continu entre les scènes tournées par le réalisateur et les nombreux extraits d’archives vidéo qui nous font découvrir par étapes l’insensible et pourtant spectaculaire transformation de Suzanna. On peut dire alors que quelque chose de l’ordre du mystère s’opère sous nos yeux.

COBY Bande-annonce
Durée : 01:25

Documentaire français de Christian Sonderegger (1 h 17). Sur le Web : www.epicentrefilms.com/Coby-Christian-Sonderegger