La caravane de campagne de Lula, cible de tirs, à Laranjeiras do Sul, dans l’Etat de Parana dans le sud du Brésil, le 27 mars. / Eraldo Peres / AP

A chacune de ses étapes dans le sud du Brésil, la caravane de l’ancien président, Luiz Inacio Lula da Silva, en précampagne électorale, a été reçue par une foule hostile, des insultes, des œufs ou de jets de pierres. Mardi 27 mars, la haine envers l’ancien syndicaliste, figure de la gauche brésilienne, condamné à 12 ans de prison pour des faits de corruption, a franchi un nouveau seuil : deux balles ont troué la caravane dédiée à la presse et un projectile a atteint le véhicule des invités. Personne n’a été blessé.

« C’était une embuscade ! », raconte José Chrispiniano, attaché de presse de Lula joint par téléphone. Les coups de feu ont été entendus vers 18 heures alors que le convoi quittait la ville de Quedas do Iguaçu dans l’Etat du Parana pour rejoindre le campus de l’université de Laranjeiras do Sul. « Il n’y avait aucune manifestation. Rien. Les balles ont été tirées depuis le bord de la route », poursuit M. Chrispiniano, encore sous le choc.

Quelques heures plus tôt, Lula, adulé comme un dieu dans le Nordeste, s’était ému du climat délétère rencontré dans le Sud : « Jamais je n’ai assisté à une sauvagerie comme celle-là », avait-il confié.

Le parcours de la caravane non modifié

Aucun indice ne permet à ce stade d’identifier le ou les tireurs. Mais la presse ne manquait pas de souligner la teneur des propos de Lula avant l’agression, promettant s’il était élu de recréer le ministère de l’agriculture familiale et de légaliser les terres quilombolas, celles des anciens esclaves. Une provocation dans un Sud dominé par les « fazendeiros », les grands propriétaires terriens.

« Nous devons ouvrir un débat à gauche sur l’avancée de la violence d’extrême droite », a réagi Juliano Medeiros, président du Parti socialisme et liberté (PSOL, gauche), allié du Parti des travailleurs (PT) de Lula peu après l’attaque qu’il qualifiait de « gravissime ». De son côté, le gouverneur de Sao Paulo, Geraldo Alckmin, potentiel adversaire du PT dans la campagne présidentielle estimait que les membres de cette formation, toujours prompts à « diviser le pays », « ne récoltaient que ce qu’ils avaient semé ».

Décrit comme un « attentat inacceptable » par la dauphine de Lula, Dilma Rousseff, déchue de la présidence en 2016, l’événement ne devrait pas modifier le parcours de la caravane qui doit prendre fin mercredi à Curitiba, la ville du juge Sergio Moro, à la tête de l’enquête anti-corruption « Lava-Jato » (lavage express) qui a signé la disgrâce de l’ancien chef de l’Etat.

Un panneau hostile à l’ancien président Lula, dans l’Etat de Parana dans le sud du Brésil, le 26 mars. / CHRISTIAN RIZZI / AFP

Une étape qui promet d’être électrique. Le Parana, contrairement à tous les autres Etats traversés par la caravane, n’a prévu aucune escorte policière. Et à 11 h 30, mercredi, Jair Bolsonaro, député d’extrême droite, favorable à la peine de mort et au port d’arme, lui aussi précandidat à l’élection présidentielle d’octobre, a prévu de convoquer ses fidèles à l’aéroport local tandis que le Mouvement brésil libre (MBL) fondé par des jeunes de droite devait manifester, dans l’après-midi, contre Lula et ce qu’il représente.

Coordinateur de la caravane, Márcio Macedo, a fait savoir, mardi, que s’il arrivait quoi que ce soit au président ou à son entourage, « la responsabilité » en incomberait à l’actuel président Michel Temer, au ministre de la sécurité publique Raul Jungmann et au gouverneur du Parana, Beto Richa.

Pas de dialogue entre camps adverses

A quelques jours de la décision de la Cour suprême, attendue le 4 avril, qui doit décider du placement ou non en détention de l’ancien métallo, les coups de feu pourraient cyniquement renforcer la stature du « père des pauvres » qui se présente comme un martyr persécuté par les juges. Mais ce déchaînement de violence reflète surtout une réalité angoissante. Celle d’un pays déchiré ou plus aucun dialogue ne semble possible entre les camps adverses.

« Les esprits sont exaltés et cela évolue de façon dangereuse, souligne le politologue Carlos Melo de l’Institut d’études supérieures Insper à Sao Paulo. Or, le Brésil n’a pas de figure à même de décréter une trêve. Nous manquons de leaders politiques à même de discuter avec l’autre côté. »

« Le Brésil doit s’arrêter quelques instants pour réfléchir à ce moment. L’agression est contre la démocratie, contre les libertés », ajoute Marco Antonio Carvalho Teixera, professeur de sciences politiques à la fondation Getulio Vargas de Sao Paulo.

Mardi soir, le président Michel Temer n’avait pas commenté l’événement, mais un porte-parole du Planalto, assurait que la police fédérale allait se charger de l’enquête.