Olivier Py devant l’affiche du 72e Festival d’Avignon. / CHRISTOPHE RAYNAUD DE LAGE/FESTIVAL D’AVIGNON

« Mesdames, messieurs et tous ceux qui se définissent autrement, bonjour. Vous savez que le violet est la couleur des évêques, mais aussi celle du féminisme, notamment parce qu’elle mélange le rose, couleur attribuée aux filles, et le bleu, couleur attribuée aux garçons », a d’emblée lancé Olivier Py.

L’édition 2018 du Festival d’Avignon, qui se tiendra du 6 au 24 juillet, sera donc placée sous le signe de cette couleur mixée. Le directeur de la manifestation en a annoncé le programme, mercredi 28 mars, dans la Cité des papes.

Plusieurs lignes thématiques s’en dégagent : la question du genre, accompagnée par celles de l’enfance, de la famille et de l’individu ; l’interrogation sur l’information et la vérité, à l’heure des « fake news » ; l’exil, le racisme et l’identité. Et c’est au jeune (36 ans) metteur en scène Thomas Jolly que revient l’honneur de l’ouverture dans la Cour d’honneur du Palais des papes : il y mettra en scène Thyeste, de Sénèque, pièce sur l’enfance et l’irreprésentable.

Du côté de la jeune garde française, on retrouvera Julien Gosselin, qui, après son mémorable 2666, en 2016, signera une autre épopée au long cours, à partir de trois romans (Mao II, Joueurs et Les Noms) dans lesquels l’écrivain américain Don DeLillo affronte la question du terrorisme. Chloé Dabert, elle, a choisi Iphigénie, de Racine. Moins jeune, mais novice à Avignon, Richard Brunel portera au théâtre le beau roman de Julie Otsuka, Certaines n’avaient jamais vu la mer.

Le Tartuffe d’Oskaras Korsunovas

Concernant les grands créateurs étrangers, la voilure est réduite. Le Belge Ivo van Hove, un habitué du Festival, revient néanmoins, en compagnie de sa formidable troupe du Toneelgroep d’Amsterdam, avec De Dingen die Voorbijgaan (Les Choses qui passent), d’après l’œuvre du grand écrivain néerlandais Louis Couperus.

Autre retour, celui du Lituanien Oskaras Korsunovas, qui présentera sa vision de Tartuffe, de Molière. Dans la jeune génération européenne, on note la présence du Suisse Milo Rau et de son International Institute of Political Murder, et de la Belge Anne-Cécile Vandalem, avec sa nouvelle création, Arctique.

C’est le chorégraphe israélien Emmanuel Gat qui investira la Cour d’honneur après Thomas Jolly, avec Story Water. L’ouverture au monde se fait plutôt, avec Olivier Py, avec les artistes du Moyen-Orient qui, une fois de plus, sont très présents : une garde venue d’Egypte et du Liban, avec à leur tête l’Iranien Amir Reza Koohestani, qui présentera Summerless.

La question du genre, entendue non seulement au sens de trans-identité, mais aussi dans celui de la construction sociale et culturelle des rôles féminin et masculin, traversera tout le Festival, mais elle sera particulièrement incarnée dans Mesdames, Messieurs et le reste du monde, le feuilleton théâtral que conduira le jeune metteur en scène David Bobée. Ainsi que dans Saison sèche, la nouvelle création de l’indisciplinaire Phia Ménard, et dans Trans (Més Enllà), du Catalan Didier Ruiz.

Outre Emmanuel Gat, la danse sera représentée par la chorégraphe allemande Sasha Waltz, avec Kreatur, par l’Andalouse Rocio Molina, par les tandems François Chaignaud-Nino Laisné et Ben & Luc (une découverte), par Jan Martens et par Raimund Hoghe, qui sera là avec deux spectacles dont une création, Canzone per Ornella.

Deux spectacles pour le jeune public

Très attaché à la « décentralisation des trois kilomètres », Olivier Py a demandé au philosophe Alain Badiou d’écrire une suite aux aventures de son personnage créé dans les années 1990, Ahmed, jeune homme de banlieue à l’esprit farceur : interprété par Didier Galas, Ahmed revient sera donc joué en itinérance.

Autre dada du directeur du Festival d’Avignon, le théâtre jeune public figurera avec deux spectacles, Au-delà de la forêt, le monde, signé (en français) par les Portugais Miguel Fragata et Ines Barahona, et Léonie et Noélie, par Nathalie Papin et Karelle Prugnaud.

Il y aura aussi des ovnis dans ce Festival qui mêle les genres à tous les sens du terme : une pièce justement intitulée Ovni(s), par Ivan Viripaev et le collectif Ildi ! Eldi ; Le Grand Théâtre d’Oklahama, d’après Franz Kafka, par Jean-François Auguste, Madeleine Louarn et son théâtre Catalyse, qui travaille avec des comédiens handicapés ; Et pourquoi moi je dois parler comme toi ?, une proposition où Anouk Grinberg et Nicolas Repac liront des textes de « littérature brute » ; Pale Blue Dot, une histoire de WikiLeaks, par un jeune metteur en scène, Etienne Gaudillère…

Quant à Olivier Py lui-même, il signera une création, Pur Présent, composée de trois tragédies de cinquante minutes, et présentera son Antigone, créée en 2017 avec des détenus du centre pénitentiaire du Pontet. Last but not least, Isabelle Adjani et Lambert Wilson liront, un seul petit soir, la correspondance entre Maria Casarès et Albert Camus.

Le Festival « off », lui, commencera également le 6 juillet, mais durera jusqu’au 29 juillet.

Pour Olivier Py, un deuxième mandat à la tête du Festival d’Avignon

A 52 ans (il en aura 53 en juillet, pendant le festival), l’auteur, metteur en scène, performeur et directeur Olivier Py débute son deuxième mandat de quatre ans à la tête du Festival d’Avignon, qu’il dirigera donc jusqu’en 2021. A l’heure du clap de début de cette seconde période, il poursuit les axes définis dès sa prise de fonction en 2014, et qui orientent le festival d’Avignon vers un axe plus populaire et socioculturel que vers la création la plus pointue. Le directeur du festival signe d’ailleurs, pour le document de présentation de cette 72e édition d’Avignon, un éditorial très politique, soulignant notamment que « l’art ne peut servir seulement de consolation au tout libéral, ni de supplément d’âme à des défiscalisations, ni d’arrangement élégant et luxueux avec notre impuissance ».