Le ciel et la mer sont dans « Sea of Thieves » magnifiques. / Microsoft

Existe-t-il mode de vie plus parfaitement ludique que celui du pirate ? Libre de naviguer sur les sept mers sans avoir de comptes à rendre, le pirate est le prototype de l’adepte de jeux vidéo, qui papillonne d’une activité à l’autre, d’un monde à l’autre, qui fait ce que bon lui semble sans se soucier des conséquences.

Et pourtant. Trente ans après le séminal Pirates ! de Sid Meier, jamais un jeu n’a vraiment réussi à recapturer le vent de liberté et d’effronterie qui n’aurait pourtant jamais dû arrêter de souffler dans les voiles du jeu vidéo.

Le Sea of Thieves de Rare (Banjo-Kazooie, Killer Instinct), disponible depuis le 20 mars sur Windows 10 et Xbox One, va-t-il réussir à recapturer cet esprit ? Peut-être. Un jour. Mais définitivement pas aujourd’hui.

Abordage hasardeux

Sea of Thieves se présente comme un jeu de pirates.

Dans un archipel constitué de quelques dizaines d’îles (la plupart inhabitées), le joueur va pouvoir prendre trois types de mission chez des marchands et des représentants de guildes.

Certaines consistent à récolter des ressources (typiquement, des poules) ou à casser la figure à un ennemi spécial (normalement, un squelette à chapeau). Mais les plus typiques sont les chasses au trésor : armé d’une carte marquée d’une croix rouge, ou de quelques vers sibyllins rappelant les énigmes du Père Fourras, le joueur va devoir se mettre en quête d’un ou de plusieurs coffres au trésor, contenant quelques menues piécettes.

Une fois son ordre de mission dans la poche, il est temps pour le joueur de prendre le large. A bord de son bateau, il n’a qu’à lever l’ancre et tirer quelques bouts (pour orienter ou hisser les voiles) avant de s’installer confortablement derrière la barre d’où il pourra, le nez et les cheveux au vent, profiter de la beauté sauvage et un rien cartoonesque de l’océan qui s’offre à lui.

La navigation à quatre joueurs, souvent les meilleurs moments de « Sea of Thieves ». / Microsoft

C’est à bord de ce bateau que l’on s’amuse le plus. Jouer de l’accordéon ou de la vielle de concert avec les autres matelots, boire un grog et tituber, réparer une avarie et écoper, grimper à la vigie pour observer l’horizon à la longue-vue à la recherche d’une voile ennemie…

Les possibilités ne sont pas exactement innombrables, mais toutes sont rafraîchissantes, voire, il faut le dire, assez hilarantes. Le nec plus ultra, évidemment, étant encore de tirer au canon. Qu’il s’agisse de boulets, pour attaquer des ennemis ou de forts squelettes, ou des coéquipiers qui se seraient malicieusement glissés dans son tube.

Car Sea of Thieves est un jeu fondamentalement multijoueur. Un équipage peut ainsi être constitué d’un maximum de quatre joueurs. C’est d’ailleurs toute l’astuce : pour manœuvrer trois voiles, barrer, en surveillant l’horizon tout en gardant un œil sur la carte, quatre paires d’yeux et autant de mains ne sont pas un luxe.

C’est même la bonne coordination d’un équipage qui fera son succès, et la mauvaise qui fera la drôlerie de l’expérience, quand, dans la panique, chacun commencera à courir dans tous les sens pour éviter de percuter un rocher ou tenter un abordage hasardeux.

Bien sûr, il est possible de jouer seul, mais c’est moins pratique. Surtout, c’est moins drôle. Et, dans un jeu qui ne l’est déjà pas beaucoup, c’est un détail qui a toute son importance.

Rien à faire

Car Sea of Thieves réussit un exploit : celui de s’emparer du matériau le plus excitant qui soit (les Caraïbes ! des trésors ! un kraken géant !) et d’en faire quelque chose de profondément ennuyeux.

En réalité, Sea of Thieves n’est pas vraiment un jeu de pirate. Pas au sens strict, en tout cas. Une fois ramassé une dizaine de poules, déterré une vingtaine de coffres, vaincu une centaine de squelettes, on se rend compte qu’on a fait le tour. Et tout ça pour quoi ? Amasser péniblement un peu d’or, qui peut ensuite être dépensé pour habiller son héros ou son bateau.

Le but du jeu : refaire, en boucle, d’infinies variations des trois mêmes missions. / Microsoft

Sea of Thieves est un (petit) coffre rempli de jouets, mais que l’on tendrait tous immédiatement et simultanément au joueur, sans lui laisser le plaisir de les découvrir à son rythme. Les armes, les bateaux, les divers équipements : tous se valent, et un vieux briscard qui aurait navigué pendant cent heures aura exactement les mêmes à sa disposition qu’un joueur débutant.

Il n’y a aucune progression dans Sea of Thieves, aucune évolution, juste quelques accessoires cosmétiques à débloquer : quatre manteaux, quatre robes, quatre crochets, quatre chopes, quatre sabres, ou encore quatre nouveaux motifs pour les voiles de son bateau, tous hors de prix. Pas vraiment de quoi motiver le joueur à multiplier ad nauseam les trois mêmes missions en boucle.

Prendre en chasse des bateaux commerciaux ? Faire du commerce, visiter des ports ou des comptoirs commerciaux ? Investir dans un meilleur vaisseau ? Des classiques du jeu de pirate. Mais rien de tout ça ici. L’archipel est simplement peuplé de poules, de squelettes, de marchands inutiles et monomaniaques, et d’autres pirates tout aussi désœuvrés (à tout moment, jusqu’à quinze autres joueurs se baladent sur la carte), qui se contenteront d’attaquer à vue, même si ça ne sert à rien, même si on ne perd pas d’or ni ne gagne d’expérience. Simplement parce qu’il n’y a rien d’autre à faire.

Simple produit d’appel

Et pourtant, on s’excusera de se dédire, Sea of Thieves est bien, dans un certain sens, un jeu de pirate. Du genre un peu cabossé, avec des bouts en moins, un cache (misère) sur l’œil et claudiquant sur sa jambe de bois. Ça ne l’empêche pas de partir à l’abordage des joueurs Xbox One (et, dans une moindre mesure, Windows 10), grâce à une vieille ruse de flibustier : Sea of Thieves est en effet le premier jeu Microsoft concerné par le nouveau programme Xbox Game Pass, qui permet depuis janvier d’accéder de façon illimitée à tout le catalogue de l’éditeur pour 10 euros par mois.

Profitant des deux premières semaines d’abonnement offertes sans engagement, deux millions de joueurs ont ainsi installé le jeu sur leur console ou leur ordinateur, souvent sans débourser un sou, faisant de Sea of Thieves le succès le plus fulgurant de Microsoft sur cette génération. Alors qu’il s’agit probablement d’un de ses jeux les plus creux et inintéressants.

Les combats, un peu mous, deviennent plus intéressants quand de nouveaux squelettes plus variés rejoignent la bataille. / Microsoft

Et de fait, il est difficile de voir en Sea of Thieves autre chose qu’un jeu sorti à la hâte pour accompagner et soutenir cette nouvelle offre Xbox Game Pass. Ce n’est pas un jeu : c’est un produit d’appel. A la rigueur, un simple prototype, une déclaration d’intention. Un brouillon même, qui va être, on l’espère, amené à s’enrichir, au gré de mises à jour que l’on espère gratuites.

Peut-être même qu’un jour, il y aura dans Sea of Thieves le potentiel de s’amuser plus d’une heure ou deux. C’est possible. La base est là. Le jeu est superbe (le ciel est à tomber, et la mer la plus belle qu’on ait vu dans un jeu vidéo), le concept de la navigation en coopération original et malin. Il n’y a, de toute façon, jamais assez de jeux de pirates.

Mais, en l’état, si les abonnés au Xbox Game Pass, qui peuvent donc s’y adonner sans frais supplémentaires, pourront envisager de s’y abandonner une heure ou deux, débourser les 70 euros qu’en demande Microsoft dans le commerce serait, à l’égard de son compte en banque, un véritable acte de sabordage.

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • La réalisation (en particulier celle de la mer, superbe)
  • Manœuvrer à plusieurs
  • Jouer de l’accordéon

On n’a pas aimé :

  • Faire les trois mêmes quêtes en boucle
  • Pas de personnages non joueurs, pas de commerce, pas grand-chose à faire, en fait
  • Un jeu très pauvre vendu au prix fort

C’est plutôt pour vous si…

  • Vous êtes déjà abonné Xbox Game Pass et qu’y jouer ne vous coûte rien de plus

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • Vous êtes raisonnable (mais surveillez quand même les mises à jour à venir, le jeu sera peut-être intéressant d’ici un an)

La note de Pixels

18 nœuds/400 tonneaux