Ready Player One multiplie les références à une vision des jeux vidéo majoritairement issue des années 1990 et 2000 / AP

La science-fiction a parfois un fort goût d’années 1990 et 2000. C’est le cas du nouveau long-métrage de Steven Spielberg, Ready Player One, sorti mercredi 28 mars en salles.

A l’image de son titre, référence à une manière désuète de qualifier les joueurs, le film projette dans un futur dystopique de nombreuses idées de jeu vidéo qui existent depuis longtemps.

Le virtuel, techno actuelle mais vieux fantasme

  • Les mondes fictifs persistants

C’est le cœur du film, un univers parallèle baptisé L’Oasis, où les joueurs peuvent se retrouver et échanger tout en pouvant en sortir à tout instant. L’idée qu’un monde virtuel en trois dimensions continue d’exister date des débuts des jeux de rôle en ligne massivement multijoueur (ou MMORPG), un genre qui remonte au XXe siècle. Meridian 59, dès 1996, proposait déjà un univers en 3D où les joueurs se rencontraient.

Meridian 59 (1996) - Official Trailer
Durée : 00:37

Avant lui, plusieurs autres titres avaient proposé à ses participants de vivre une aventure virtuelle dans des mondes en 2D, comme Neverwinter Nights (1991) et même Habitat (1985). Au milieu des années 2000, des expériences comme Second Life et le PlayStation Home ont tenté une approche 3D plus communautaire, avec un succès relatif mais non nul. Mais World of Warcraft, sorti en 2004, demeure à ce jour le plus célèbre et le plus populaire.

Le tout premier MMORPG pour casque de réalité virtuelle, Orbus VR, a tout juste été lancé en accès anticipé en décembre 2017. Mais contrairement à ce que dépeint le film, cette technologie n’a pour l’instant connu qu’un succès confidentiel. Aucun ne propose le niveau d’immersion et de réalisme visuel de L’Oasis.

Orbus VR - The First VR MMORPG! - VR Gameplay HTC Vive
Durée : 32:53

  • Les combinaisons sensorielles

S’il y a bien une technologie que le grand public a peu de chance d’avoir déjà goutée, c’est celle-ci : les combinaisons haptiques mises en scène dans le long-métrage, qui permettent au joueur d’avoir un ressenti physique quand il est touché. Sauf que là encore, Ready Player One nage dans un fantasme très années 1990 : l’Aura Interactor, la première du genre, date de 1994, et était compatible avec… la Mega Drive et la Super Nintendo.

Aura Interactor Game Vest - 1994 Commercial
Durée : 00:31

Depuis les années 2010 et le regain d’intérêt pour la réalité virtuelle, plusieurs produits de ce type ont été lancés, chaque fois de manière confidentielle. Elles n’en sont toutefois qu’à un stade de commercialisation précoce : la Hardlight VR Suit a réussi sa campagne de financement participatif sur Kickstarter en 2017, et la Teslasuit est en précommande depuis le mois de mars.

Un long passif de créateurs farceurs

  • La figure du concepteur-démiurge

Toute l’intrigue du long-métrage consiste à remonter la psyché de James Halliday, créateur génial de L’Oasis, et lui-même présent dans le jeu sous la forme d’un avatar prestigieux. Une référence à peine voilée à Richard Garriott, créateur en 1981 de la série de jeux de rôle se déroulant dans un univers médiéval-fantastique Ultima, et depuis présent dans chacun de ses épisodes sous sa persona virtuelle de Lord British. Il sert dans le jeu à régénérer la vie de l’Avatar, le personnage du joueur. Il est par ailleurs censé être invincible.

FM Towns Ultima Trilogy greeting by Lord British
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De nombreux autres créateurs se sont directement mis en scène dans leur jeu vidéo, sans qu’il s’agisse de MMORPG. Parfois en leur nom propre – ainsi du français David Cage, qui s’est modélisé en 3D dans Farenheit (Indigo Prophecy en version américaine) en 2005 et guide le joueur lors du tutoriel. Le Japonais Hideo Kojima s’est lui mué en personnage secondaire d’agent secret baptisé Hideo, et surnommé « God », dans plusieurs épisodes de la série qui l’a rendu célèbre, Metal Gear Solid. Plus récemment, dans un registre proche du film, la voix off du jeu indépendant A Beginner’s Guide (2015) est celle de l’ami de son créateur.

Indigo Prophecy / Fahrenheit - David Cage Gameplay Tutorial - HD
Durée : 04:18

  • Les easters eggs

Les easter eggs  (« œufs de Pâques », en anglais) datent, comme le film l’explique, du jeu vidéo Adventure en 1979. Il s’agit d’un texte ou d’une fonctionnalité cachés par le ou les programmeurs. Contrairement à ce que suggère Ready Player One, il ne s’agit pas de bonus ou d’épreuves secrètes, mais plutôt de clins d’œil à la réalité, comme le nom d’un programmeur, l’ancien logo d’une entreprise, ou une blague adressée au joueur. Ils jouent surtout sur le quatrième mur, qui différencie la fiction de la réalité. Citons le délicieux « Il n’y a pas d’easter egg ici, allez-vous-en » caché au sommet d’un pont dans GTA San Andreas. Et qui est… un easter egg.

Grand theft auto san andreas: easter egg
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L’amour, la monnaie et le travail virtuels existent déjà

  • L’amour en ligne

Pour les amateurs de jeux en ligne, et notamment du célèbre World of Warcraft, la question fera sourire : s’il n’existe pas de chiffres officiels ou d’étude à ce sujet, les témoignages de couples qui se sont rencontrés d’abord dans Azeroth, le territoire virtuel que l’on y explore, sont nombreux et ont déjà fait l’objet de nombreux articles, comme dans L’Obs en 2015. De la même façon que dans le film, les participants ne rencontrent d’abord que des avatars et des pseudonymes, mais peuvent rejoindre une guilde commune, apprendre à se connaître par le tchat vocal ou textuel, pour, s’ils le souhaitent, finir par se rencontrer « IRL » (in real life, dans la vraie vie).

  • L’économie virtuelle

Dans Ready Player One, les personnages passent leur temps à acheter des objets virtuels, ainsi qu’à collecter ou perdre des pièces. Il s’agit de fonctionnalités très répandues dans les jeux vidéo modernes. Qu’il prenne la forme de faux dollars, de cristaux ou encore de rubis, l’argent virtuel permet de rythmer la progression du joueur, en fixant par exemple des prix plus élevés pour les équipements réservés aux niveaux les plus durs, comme dans The Legend of Zelda : Breath of the Wild. Il sert également de monnaie d’échange avec de l’argent réel, par exemple pour acheter des crédits supplémentaires ou des bonus dans Candy Crush Saga.

100,000 Rupee - RICH LINK! - Rupee Farming in Legend of Zelda Breath Of The Wild
Durée : 03:30

Cette dimension va parfois très loin. Le jeu vidéo communautaire islandais Eve Online est même connu pour son économie parallèle particulièrement complexe, tandis que l’économiste et ancien ministre des finances grec Yanis Varoufakis a même étudié la théorie du libre-échange du point de vue de la monnaie virtuelle dans des jeux vidéo.

  • Les joueurs-esclaves

Le film semble donner de l’économie du jeu vidéo une vision dystopique, celle d’un futur dans lequel des personnes en difficultés financières seraient détenues contre leur gré et contraintes à jouer pour rembourser leurs dettes, sous la forme d’un travail imposé.

Cette réalité n’a rien de fictionnelle : elle a déjà été documentée par une enquête du Guardian en 2011, sur des prisonniers chinois obligés à jouer pour créer des richesses virtuelles dans World of Warcraft (des gold farmers, dans le jargon), richesses ensuite revendues contre de l’argent réel.

Comme dans le film, ils portent souvent des suites de chiffres ou de symboles en guise de pseudonyme. Si la pratique a été officiellement interdite en Chine en 2009, le « métier » de gold farmer existe encore, et paye mal. En 2016, un Canadien gagnant sa vie en tapant sur des monstres virtuels témoignait travailler 72 heures par semaine pour un salaire non déclaré équivalent à environ 20 000 euros par an.