Dans la maison du petit Sérigne Fallou Diop, décédé (en blanc sur la photo), avec son père (en noir) et ses proches, le 23 mars 2018, à Rufisque, au Sénégal. / Matteo Maillard

Les mouches bombinent autour d’un sac plastique au pied d’un mur en parpaing. Des grappes noires excitées par la puanteur s’y agglutinent. Leur frénésie et leur nombre attirent le regard d’un paysan. Il quitte son champ, s’approche, tapote le sac avec un bâton, l’agite jusqu’à révéler un pied. Un pied d’enfant.

Le petit Sérigne Fallou Diop est mort à 2 ans « et 6 mois », précise son père, assis dos au mur dans son salon gris béton avec sa femme et sa fille. Dans sa main gauche, il égrène un chapelet. Dans sa droite, son téléphone portable diffuse un prêche enregistré la veille par l’imam local en hommage à la famille.

Dans ce quartier populaire de Rufisque, à 30 km à l’est de Dakar, les habitants sont venus en procession présenter leurs condoléances aux Diop depuis que le corps de leur fils a été retrouvé, jeudi 22 mars, dans ce champ au bout de la rue, face à leur porte. Fallou avait disparu quatre jours plus tôt, « alors qu’il jouait avec sa sœur jumelle devant la maison », raconte sa mère. Il était 13 heures, les rues étaient vides pour le déjeuner. Personne n’a vu qui a emporté l’enfant.

Des rumeurs difficiles à vérifier

Le cas du petit Sérigne Fallou Diop est le dernier d’une série d’enlèvements d’enfants qui agite le Sénégal depuis plusieurs semaines. Mardi, Aly Ngouille Ndiaye, le ministre de l’intérieur, faisait état de trois meurtres et cinq tentatives de kidnapping, dont le premier recensé est l’assassinat de Fallou Bâ, le 24 février. Agé de 10 ans, il a été retrouvé la gorge tranchée dans un immeuble en construction de la ville de Touba.

D’autres cas d’enlèvements ont été répertoriés à Matam, Mbao, Grand Yoff, Dakar et Tivaouane, déclenchant la panique dans la population. Une psychose répétée de la rue à la radio, des foyers aux journaux, et finissant inévitablement sur les réseaux sociaux où les rumeurs viennent se mêler aux faits avérés.

Tenaillés par la peur, de nombreux parents gardent leurs enfants à la maison. « Nous avions l’habitude de laisser nos portes ouvertes, désormais nous les verrouillons », affirme Cheikh Ndiaye, un notable du quartier de Rufisque où le petit Fallou a été tué. Plusieurs écoles de Dakar ont signalé dans les médias locaux une augmentation des absences, du fait de la crainte des parents de voir leur enfant lui aussi kidnappé.

Le 22 mars, une femme de 26 ans, Idiatou Diallo, a été arrêtée par la police aux abords d’une école du quartier de Médina, à Dakar alors qu’elle tentait de fuir avec une enfant de 7 ans en pleurs sans lien familial avec elle, manquant de se faire lyncher par la foule.

« Il faut que ça s’arrête »

Cette succession d’événements a obligé le président Macky Sall à réagir, le lendemain, sur les ondes de Radio Futurs Médias. « J’ai appris avec douleur ces rapts d’enfants suivis de meurtres. J’ai déjà donné des instructions les plus fermes [à la police] pour traquer ces malfaiteurs, les traduire devant la justice. […] C’est ignoble, c’est inacceptable et le Sénégal ne saurait tolérer cela », a martelé le chef de l’Etat.

Deux jours auparavant, le directeur de la sécurité publique, le commissaire divisionnaire Abdoulaye Diop, annonçait la création d’une « task force » pour lutter contre la recrudescence des kidnappings d’enfants. « Le sentiment d’insécurité ne saurait prospérer. C’est pourquoi nous avons pris des mesures fortes pour renforcer la sécurité nationale », a-t-il avancé, sans spécifier le détail des moyens humains et matériels mis à disposition.

Des enfants défilent lors de la grande marche pour la protection des enfants, à Dakar, le 24 mars 2018. / Matteo Maillard

Cette annonce n’a pas eu l’effet escompté. Samedi, un demi-millier de personnes se sont réunies dans le quartier de Médina pour protester contre ces rapts et exorciser une psychose étouffante. Habillés de noir, les militants ont défilé en scandant des slogans tels que « Dafadoy ! » (« ça suffit ! », en wolof) ou « Chut, xalé yaa ngi jeex » (« silence, on tue nos enfants »).

« C’est un cri du cœur pour alerter les parents et le gouvernement, qui doivent prendre leurs responsabilités afin de protéger nos enfants, lance Anta Pierre Loum, l’une des organisatrices de la manifestation. Je ne suis qu’une mère qui s’est levée. La mort du petit Fallou était celle de trop. Le Sénégal n’a jamais connu une telle vague d’agressions de ses enfants. L’autre nuit, mon fils s’est réveillé d’un cauchemar en pleurant. Il criait “Ne m’emmenez pas !” Il faut que ça s’arrête. »

L’hypothèse de crimes rituels

Si aucun suspect n’a été appréhendé et aucune piste ne semble encore privilégiée, la psychose fait ressurgir le fantasme de sombres crimes rituels. A une année de l’élection présidentielle, des observateurs de plus en plus nombreux soutiennent que le mobile de ces meurtres est sacrificiel, à l’instar de cas révélés au Liberia, au Gabon ou en Ouganda. Dans ce dernier pays, l’ONG Kyampisi Childcare Ministries avait dénoncé lors de la campagne électorale de 2016 de nombreux cas de sacrifices humains, prélèvements d’organes et amputations sur des enfants, afin de porter chance à des candidats. Des pratiques cependant très inhabituelles au Sénégal.

« Ces actes nous font penser à des sacrifices, mais nous devons d’abord attendre les résultats des autopsies, ensuite on verra ce que les autorités nous dirons », affirme Anta Loum. Dans le rapport d’autopsie du petit Fallou obtenu par Le Monde Afrique, le médecin légiste souligne « l’absence de signes extérieurs de violence. Absence de fracture ». Mais l’état avancé de décomposition du corps « rend non fiable la description des lésions », l’obligeant à conclure que « la cause directe du décès n’est pas objective ». La famille Diop devra encore attendre les résultats de l’enquête de police pour trouver réponse à leur malheur.