A Dakar le 28 mars 2018. / SEYLLOU/AFP

Khalifa Ababacar Sall était arrivé ce matin, vendredi 30 mars, au tribunal correctionnel de Dakar comme à son habitude, sous les acclamations de ses centaines de soutiens mais, cette fois-ci, il est reparti sous leurs pleurs et leurs cris de colère.

Une bagarre déclenchée entre le public et les gendarmes a obligé le juge Malick Lamotte à quitter précipitamment la salle d’audience après avoir rendu son verdict tant attendu. Le maire de Dakar, en prison depuis le 7 mars 2017, n’en sortira pas. Il a été condamné à cinq ans de prison ferme et une amende de 5 millions de francs CFA (7 620 euros) en conséquence aux chefs d’inculpation de « faux et usage de faux » et « escroquerie portant sur des fonds publics » bien que relaxé de ceux d’« association de malfaiteurs » et « blanchiment de capitaux » en raison de l’absence de faits les qualifiant.

« L’empêcher de se présenter à la présidentielle »

Le juge a estimé que Khalifa Sall était coupable de par sa qualité « d’ordonnateur des dépenses », d’avoir « apposé sa signature au verso de 110 fausses factures de mil et de riz avec la mention vu, vérifié, liquidé (…) En certifiant ces factures qu’il savait fictives, Khalifa Sall avait la conscience claire », a-t-il déclaré lors de la lecture du délibéré. Le maire était accusé avec sept autres collaborateurs de sa mairie d’avoir détourné, entre 2011 et 2015, 1,83 milliard de francs CFA (2,8 millions d’euros) d’une caisse d’avance servant à régler des dépenses urgentes, par le biais de fausses factures. Un mécanisme que la défense avait justifié comme une pratique ancienne, dont le maire de la capitale sénégalaise avait hérité.

Le tribunal a aussi rejeté l’argument de la défense qui présentait la caisse d’avance comme le réceptacle de fonds politiques destinés au secours de la population dakaroise ainsi qu’à des dépenses municipales diverses. « Les accusés n’avaient pas besoin d’user de faux s’il s’agissait de fonds politiques », a prononcé le juge, ajoutant : « Ils ne peuvent qualifier en fonds politiques des crédits qu’ils ont signés en tant que dépenses diverses. »

A la sortie du tribunal correctionnel de Dakar où était jugé le maire de Dakar, le 30 mars 2018. / SEYLLOU / AFP

Sur les sept ans requis par le parquet, le maire de Dakar a été condamné à cinq ans, une peine jugée trop lourde par ses partisans. « Toutes les exceptions ont été levées, il ne restait que les fausses factures, soutient Makhtar Ndao, directeur de la culture et du tourisme de la ville de Dakar et proche du maire socialiste. Ils lui ont donné une peine de prison pour l’empêcher de se présenter à la présidentielle de 2019. »

La lecture du verdict a déclenché des échauffourées à l’intérieur et hors de la salle d’audience de 1 300 places pleine à craquer. Quelques volées de poings et invectives avec les forces de l’ordre, un homme hurlant vers les magistrats : « Ils ont voulu la guerre, ils vont l’avoir ! » Des supportrices s’évanouissant sur les bancs du public, d’autres agenouillées en pleurs devant la salle d’audience, laissaient à voir des scènes d’une rare cacophonie. Les fumigènes de la police n’ont pas suffi à calmer les esprits.

« A feu et à sang »

« C’est un simulacre de procès, nous allons défendre Khalifa, même s’il faut mettre ce pays à feu et à sang ! Macky Sall a instrumentalisé la justice parce qu’il avait peur d’être battu par Khalifa aux élections ! », lance Abdou Diop. Son ami Coumba Faye, responsable socialiste du département de Fatick surenchérit : « Le président doit se rappeler des hommes et des femmes morts pour établir l’équilibre démocratique dans ce pays. On espérait être dans un pays de droit, mais ceux qui rendent la loi ne sont pas là pour les Sénégalais », hurle-t-il avant d’être emporté par la police.

Dans l’écrasante majorité pro-Khalifa de la foule, quelques voix dissonantes se font entendre, comme celle de Malick (nom d’emprunt), qui estime que la condamnation du maire est une première étape. « Nous devrions traquer et condamner tous les maires corrompus du Sénégal qui jouent avec l’argent du contribuable », lance-t-il avant de s’échapper discrètement. Non loin, assailli de micros, Me Ciré Clédor Ly, avocat de la défense soutient que si les élections ne sont que dans dix mois, « le parcours est encore long avant une condamnation définitive, clame-t-il faisant référence à l’appel qu’il souhaite opposer à cette décision. Même en prison, Khalifa peut présenter sa candidature et participer à la présidentielle, assure-t-il. L’important aujourd’hui, c’est que le peuple sénégalais manifeste son mécontentement contre cette décision de justice qui ne protège que la caste politique en place. »