Recep Tayyip Erdogan et Emmanuel Macron, lors d’une conférence de presse commune à l’Elysée, le 5 janvier. / LUDOVIC MARIN / AFP

Editorial du « Monde ». Que la France envoie ou non certaines de ses forces spéciales déjà présentes en Syrie vers Manbij dans le but de prévenir l’offensive annoncée à grand bruit par le président turc Erdogan ne changera pas grand-chose. Confirmé par les uns, démenti par les autres, ce déploiement, s’il a lieu, ne pourra être que symbolique. Manbij, une ville arabe contrôlée par les Forces démocratiques syriennes (FDS), dont l’encadrement est principalement kurde, est déjà sous la protection de soldats américains depuis l’automne 2016.

Les FDS et les unités kurdes sont les alliés de la coalition internationale contre l’Etat islamique, dont la France fait partie depuis 2014. Elles ont pris Rakka, la capitale du « califat » syrien de l’organisation Etat islamique (EI). Vue depuis Paris, la poursuite de la lutte contre les djihadistes est un impératif de sécurité nationale. Il nécessite d’apporter un minimum de garanties politiques et sécuritaires aux FDS, visées par M. Erdogan, qui les considère comme le prolongement, en Syrie, du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) contre lequel il est en guerre. La prise de l’enclave kurde syrienne d’Afrin par l’armée turque et ses alliés arabes syriens a été le premier acte de la lutte à mort que M. Erdogan veut leur mener.

Un partenaire essentiel

En recevant une délégation civile et militaire, liée au FDS, jeudi 29 mars à l’Elysée, Emmanuel Macron a cherché à montrer sa solidarité avec les meilleurs alliés de la France dans sa guerre contre le djihadisme. Pour Ankara, cette forme de reconnaissance est totalement inacceptable : l’implantation durable d’une entité politique dominée par les FDS à sa frontière est, pour la Turquie, une menace existentielle.

Or la Turquie est aussi un partenaire essentiel de la France dans la lutte contre le djihadisme – en extradant les ressortissants français qu’elle intercepte sur son territoire et en servant de garde-frontière à l’Europe dans le cadre de sa politique migratoire. Paris cherche donc à ménager tout le monde. Dans le communiqué officiel publié à l’issue de la rencontre de jeudi, l’Elysée affirme que le président de la République « a assuré les FDS du soutien de la France » et a « rappelé l’engagement de la France contre le PKK ». Pour Ankara, les FDS sont le PKK. On touche là les limites de la « diplomatie de l’en même temps » de M. Macron.

Un puissant outil de mobilisation

Les Etats-Unis, qui cherchent à ménager leur allié turc dans l’OTAN tout en donnant des garanties à leurs partenaires des FDS dans la guerre contre l’EI, sont aussi confrontés à ce dilemme. Mais ils sont plus puissants – et donc craints d’Ankara – et plus lointains géographiquement de la Turquie : les conséquences d’une querelle avec M. Erdogan ne sont pas les mêmes.

M. Macron a proposé ses bons offices et « souhaité qu’un dialogue puisse s’établir entre les FDS et la Turquie avec l’assistance de la France ». Il est permis de douter du succès d’une telle démarche, balayée par Ankara vendredi. Seuls un front uni et une démarche commune des Occidentaux – Français, Américains, Britanniques, Allemands, etc. – pourraient dissuader M. Erdogan de stopper sa croisade anti-kurde en Syrie.

Il y a trouvé un puissant outil de mobilisation d’une société turque travaillée par l’islamo-nationalisme virulent promu par le pouvoir en place. M. Erdogan, candidat à sa propre succession en 2019, n’a aucune raison de mettre fin à une guerre qui le rend populaire. Et lui permet de réprimer ses opposants à l’intérieur du pays.