Film sur TCM Cinéma à 20 h 45

Mémoires de nos pères (2006) bande annonce
Durée : 01:57

Le film de Clint Eastwood semble obéir à un programme contenu dans son titre : l’allégeance au passé, l’hommage aux anciens, la soumission respectueuse à une généalogie, dont ne fut peut-être pas mesurée la valeur profonde. Mémoires de nos pères est l’adaptation d’un récit de James Bradley, dont le père, vétéran de la bataille de l’île d’Iwo Jima, péniblement prise aux Japonais, fit partie des six soldats qui hissèrent le drapeau américain sur le mont ­Suribachi, le 23 février 1945, après ­plusieurs jours de combat. Cette action fut immortalisée par le photographe Joe Rosenthal, qui réalisa une image-emblème, une icône de la victoire, dont l’écrivain et le cinéaste avouent avoir voulu traiter les arrière-plans humains.

Trois périodes s’entrelacent dans le film : le présent (des survivants de l’époque sont interviewés par le narrateur) et deux moments du passé, celui des combats sur l’île et celui de la tournée que firent les trois survivants du cliché de Rosenthal aux Etats-Unis, acclamés comme des héros au cours d’une campagne publicitaire destinée à inciter les Américains à acheter des bons de guerre.

Une étrange épopée individuelle

Ainsi, à la rhétorique du film de guerre s’ajoutent les scènes qui montrent quelques individus sommés de sortir de leur humanité concrète afin de se transformer en symboles. C’est le premier sujet de Mémoires de nos pères : que devient une image lorsqu’elle n’est pas simplement la trace d’une réalité visible, mais qu’elle se transforme en icône ?

Cette mutation devient aussi un récit de cinéma, une étrange épopée individuelle au cours de laquelle les trois « héros » sont ballottés de cérémonies dérisoires et parfois grotesques en rencontres, forcément décevantes, avec une société civile américaine devenue étrangère. Celle-ci, tout en les ­acclamant, leur rappelle leur ­condition sociale ou ethnique : l’un des soldats est un Indien à qui l’on rappelle parfois vulgairement son origine.

« Mémoires de nos pères » (« Flags of our Fathers », 2006), de Clint Eastwood avec Jamie Bell. / MERIE W. WALLACE, SMPSP/PROD DB © WARNER BROS. - MALPASO

Mémoires de nos pères rejoint la grande fiction hollywoodienne, qui a souvent interrogé les prin­cipes fondateurs de l’Amérique et la définition de la démocratie. Des films épiques de King Vidor aux comédies matrimoniales de George Cukor en passant par les méditations de John Ford, une grande partie du cinéma américain, avant qu’il ne s’adonne aux délices de la mise en abîme iro­nique ou réflexive, s’est toujours construite sur la résolution d’un paradoxe : l’homme ordinaire peut-il être aussi un héros de ­cinéma – ici de la grande histoire – sans perdre sa nature de sujet de la démocratie ? Comment être un individu parmi d’autres et être unique ? C’est la question que pose frontalement le film d’East­wood, qui vient miracu­­leu­sement illuminer le reste de sa ­filmographie.

En questionnant la nature de l’héroïsme de ses personnages, le film donne une des clés de la ­mélancolie au cœur de l’œuvre de l’auteur d’Impitoyable. Elle est aussi dans la mise en scène. Le goût du réalisateur pour les ombres et la pénombre n’expri­me-t-il pas le sentiment d’un effacement de la figure humaine comme condition de sa pétrification en statue héroïque ? Le cinéma de Clint Eastwood n’a jamais cessé de parler de cela.

Mémoires de nos pères, de Clint Eastwood. Avec Ryan Phillippe, Adam Beach, Neal McDonough (EU, 2006, 132min).