Beyoncé lors d’un concert, le 4 novembre 2016 à Cleveland, Ohio. / JUSTIN SULLIVAN / AFP

La colère a changé de voix, mais elle ­résonne toujours dans les rues de l’Amérique. Cinquante ans après l’assassinat de Martin Luther King, en pleine fièvre de la lutte pour les droits civiques et ­contre la guerre du Vietnam, une génération de militants est en passe de disparaître. Julian Bond, qui était apparu comme une relève possible après le choc de 1968, est décédé en 2015. L’étoile du pasteur Jesse Jackson, 76 ans, a depuis longtemps pâli. Al Sharpton, 63 ans, appartient déjà au passé.

Cette génération peut s’enorgueillir d’avoir vu un couple afro-américain accéder pour la première fois à la Maison Blanche, le 20 janvier 2009. Un accomplissement qui a toutefois plus relevé de l’étape que de l’aboutissement, même si Barack et Michelle Obama ont conservé une image puissante depuis leur départ du 1600 Pennsylvania Avenue.

En témoigne la foule qui se presse actuellement à la Smithsonian National Portrait Gallery, à Washington, où sont exposés ­depuis février les portraits de l’ancien président et de l’ancienne First Lady, comme le veut la tradition.

Fractures raciales

L’allégresse de la victoire de novembre 2008 et de la réélection de 2012 a cependant été sans effets sur les fractures raciales qui continuent de miner les Etats-Unis.

Le New York Times a publié en mars une étude des chercheurs des universités Stanford et Harvard qui confirme une fois de plus une inégalité des chances. Les enfants noirs aisés ont en effet moins de chances de conserver leur niveau social une fois adultes que les enfants blancs. Et les enfants noirs pauvres ont plus de risques de le rester une fois adultes que les enfants blancs.

Barack Obama rêvait d’une société postraciale, mais la réalité s’est brutalement rappelée à lui en 2013, après l’acquittement du responsable d’un coup de feu mortel contre un Noir de 17 ans, Trayvon Martin, en Floride. Un an plus tard, la mort de Michael Brown à Ferguson (Missouri), tué par un policier municipal, suivie par une demi-douzaine de cas similaires dans de nombreux autres Etats, a libéré une rage longtemps contenue.

Adaptation aux nouvelles technologies

Cette colère a été en partie canalisée par le mouvement Black Lives Matter (« Les vies des Noirs comptent »), constitué après le jugement de Floride. Ce dernier a épousé les codes de son temps, reproduisant des stratégies de mobilisation adaptées aux nouvelles technologies de communication esquissées par le mouvement anticapitaliste Occupy Wall Street après la crise des subprimes, en 2011.

Comme l’a théorisé Todd Wolfson dans un essai consacré aux rébellions numériques (Digital Rebellion, University of ­Illinois Press, 2014, non traduit), Black Lives Matter a entraîné un « aplatissement des hiérarchies ».

Ce mouvement sans voix ni figures identifiées, perçu comme une remise en cause des figures tutélaires et du paternalisme prêté au Parti démocrate (port d’attache traditionnel du vote noir), a alimenté les controverses. Le combat, lui, reste inachevé. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump, en 2017, s’accompagne de choix en matière de politique pénale ou sociale qui ne risquent pas de faire baisser cette sourde fièvre.

Huit leaders actuels de la communauté noire

  • Beyoncé Knowles-Carter, chanteuse

A 36 ans, elle est la chanteuse de tous les records, notamment la plus capée des Grammy Awards avec 22 récompenses. Elle apparaît régulièrement sur les listes des artistes ou des femmes les plus influentes du magazine Forbes. Proche des démocrates, elle avait appelé à voter pour Hillary Clinton en 2016, comme son mari Jay Z, après avoir participé activement neuf ans plus tôt aux levées de fonds d’un jeune sénateur encore peu connu, Barack Obama. Beyoncé a renouvelé à sa manière le style des chansons protestataires avec Formation, une dénonciation des violences policières dont sont majoritairement victimes les Afro-Américains. Avec dans son jeu la force de frappe que peut constituer sa présence à la mi-temps d’un Super Bowl, la finale du championnat de football américain, comme en 2017.

  • LeBron James, basketteur

L’ailier des Cavaliers de Cleveland (Ohio) a répondu par le mépris en février à la chroniqueuse vedette de la chaîne conservatrice Fox News, Laura Ingraham, qui lui conseillait « de la fermer et de dribbler ». « Je ne connais pas cette femme », a-t-il ­répliqué. Un peu plus tôt, il avait assuré que le président, Donald Trump, « n’en a rien à foutre des gens ». LeBron James, qui ne quitte pas les sommets de la NBA ­depuis une décennie, n’a cessé de multiplier les critiques vis-à-vis du milliardaire. Circonstance aggravante, il a apporté son soutien aux joueurs de la National ­Football League qui, à l’invitation de Colin Kaepernick, quarterback des 49ers ­désormais sans club, posaient un genou à terre pendant l’hymne national, au ­début des rencontres, pour protester ­contre les inégalités raciales. Un geste de défi stigmatisé par le président.

  • John Lewis, représentant démocrate de Géorgie

L’ancien proche de Martin Luther King était au côté de Barack Obama, en 2015, lors de la commémoration des cinquante ans de la marche de Selma, dans l’Alabama. A 78 ans, il est le dernier membre du Congrès à avoir connu le champion pour les droits civiques. Elu de Géorgie, il siège depuis 1986 à la Chambre des représentants. Très sévère vis-à-vis du président Donald Trump, il a boycotté sa prestation de serment en janvier 2017, puis son premier discours sur l’état de l’Union. L’intéressé a vivement répliqué à ses critiques en jugeant que le district de l’élu se trouve dans une « situation horrible » du fait de son « inaction ».

  • Oprah Winfrey, femme d’affaires

Il n’a fallu qu’un discours enthousiaste lors de la cérémonie des Golden Globes, à Beverly Hills (Californie), en janvier, pour qu’Oprah Winfrey devienne en quelques heures une candidate potentielle à l’élection présidentielle de 2020. La formule, « Une aube nouvelle se profile à l’horizon », renvoyait au succès de la campagne en cours contre les violences faites aux ­femmes, mais beaucoup de démocrates en manque de modèles ont voulu croire à une ambition plus grande. Incarnation ­familière du rêve américain, cette animatrice vedette et actrice devenue femme d’affaires est aujourd’hui à la tête d’une fortune qui se compte en milliards de dollars. Et sa notoriété peut lui permettre toutes les audaces.

  • Imelme Umana, juriste

Noire, femme et fille d’immigrés du Nigeria, Imelme Umana n’avait pas nécessairement le profil pour devenir à 24 ans, en 2017, la présidente d’un monument d’élitisme : la prestigieuse revue de droit d’Harvard. Elle prend la succession, ­vingt-sept ans plus tard, d’un étudiant promis à un éclatant avenir, Barack Obama, le premier Afro-Américain à ce poste. Elle est, elle, la première Noire à obtenir cette fonction. Diplômée à la fois de la Harvard Law School et de la ­Kennedy School of Government, qui ­dépend de la même université, ancienne présidente d’un comité consultatif ­d’étudiants, la jeune femme dispose d’un curriculum vitae des plus enviables.

  • Jordan Peele, scénariste

En 2016, Hollywood s’était attiré les critiques pour une cérémonie des Oscars ­jugée trop « blanche ». Le reflet d’une tendance lourde, puisque seulement 1,22 % des statuettes ont été décernées à des Afro-Américains depuis la création de ces récompenses, en 1929. En mars, un pilier de la chaîne Comedy Central connu ­jusqu’à présent pour ses sketchs humoristiques, Jordan Peele, 38 ans, a écrit une page d’histoire en étant le premier Noir distingué dans la catégorie du meilleur scénario original pour le film Get Out. Ce thriller a été un phénomène social autant qu’un succès commercial. Un an plus tôt, Barry Jenkins avait été le quatrième ­réalisateur noir distingué par l’académie du cinéma avec le film Moonlight.

  • Tamika Mallory, militantepour les droits des femmes

Bon sang ne saurait mentir : Tamika Mallory, qui copréside la Marche des femmes, à l’origine des manifestations monstres organisées aux Etats-Unis le lendemain de l’arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump, a grandi dans l’activisme. Ses ­parents, new-yorkais, ont gravité dans l’orbite du National Action Network du ­révérend Al Sharpton. Tamika Mallory y a fait ses premiers pas, accédant rapidement à des postes de direction, avant de créer sa propre société. Militante pour les droits des femmes et pour le contrôle des armes, elle est également proche du mouvement Black Lives Matter, créé après ­l’acquittement, en 2013, du meurtrier d’un jeune Noir, Trayvon Martin, en Floride.

  • Cory Booker, sénateur ­démocrate du New Jersey

Ancien maire de Newark, Cory Booker, 48 ans, a été élu sénateur du New Jersey au cours d’une élection partielle en 2013, devenant le premier Noir de cet Etat à ­accéder à ce poste. Son expérience des campagnes électorales, ses liens avec la Silicon Valley et ses milliardaires en font un candidat démocrate possible pour l’élection présidentielle de 2020. Comme son mentor, Barack Obama, Cory Booker a d’ailleurs prononcé un discours lors d’une convention d’investiture (celle d’Hillary Clinton à Philadelphie, en Pennsylvanie, en juillet 2016), même s’il n’a pas soulevé la foule comme le futur président à ­Boston, en 2004. Au Sénat, ses votes le rangent généralement parmi les modérés du camp démocrate.