Nasser Al-Khelaïfi, le 31 mars, à Bordeaux. / MEHDI FEDOUACH / AFP

Que reproche réellement le parquet suisse à Nasser Al-Khelaïfi ? Depuis le 12 octobre 2017 et l’annonce de l’ouverture par le Ministère public de la Confédération (MPC) d’une procédure pénale à l’encontre du président qatari du Paris-Saint-Germain, la question reste entière. Soupçonné de « corruption privée active », M. Al-Khelaïfi aurait — en sa qualité de directeur du groupe BeIN Media — prétendument offert des « avantages indus en lien avec l’octroi de droits média dans certains pays en ce qui concerne les Coupes du monde de 2026 et de 2030 » au Français Jérôme Valcke, 57 ans, ex-secrétaire général de la Fédération internationale de football (FIFA).

L’ex-numéro 2 de l’instance mondiale est lui aussi visé par une enquête du Ministère public de la Confédération. L’ancien bras droit de l’ancien patron de la FIFA Sepp Blatter est également « soupçonné d’avoir accepté des avantages indus en lien avec l’octroi de droits médias dans certains pays de la part d’un homme d’affaires dans le domaine des droits sportifs en ce qui concerne les Coupes du monde de football de la FIFA de 2018 [en Russie], 2022 [au Qatar], 2026 et 2030 ».

Les autorités suisses se polarisent sur ledit accord qui sécurise l’octroi à BeIN Media des droits médias des Mondiaux 2026 et 2030, dont l’organisation n’a pas été encore attribuée. Selon les proches du dossier, le « deal » a été scellé « en 2013-2014 » pour un montant avoisinant 500 millions d’euros. Il concerne vingt-quatre pays du Moyen-Orient, dont le Qatar et l’Arabie saoudite, et d’Afrique du Nord. L’accord en question n’a jamais été officiellement annoncé par la FIFA.

Selon plusieurs sources, le contrat a été validé par un paraphe de Marco Villiger — alors directeur juridique de la FIFA et promu, en 2016, secrétaire général adjoint par le nouveau président Gianni Infantino — et de Markus Kattner, alors directeur des finances. A l’instar de plusieurs accords (avec notamment la chaîne brésilienne TV Globo), le deal entre la FIFA et BeIN Media a été conclu sans appel d’offres.

« Une situation monopolistique »

« Je n’ai jamais participé d’une manière ou d’une autre à la négociation de ce contrat, les négociations étant menées par Niclas Ericsson [alors directeur du département TV de la FIFA] et son équipe. Le contrat a été largement supérieur au précédent. Cette histoire de corruption est absolument un non-sens », confie au Monde Jérôme Valcke, qui a fait appel de sa suspension de dix ans devant le Tribunal arbitral du sport. Alors que la FIFA a déposé plainte, le camp Nasser Al-Khelaïfi assure que « la proposition de BeIn était largement supérieure et très avantageuse pour la FIFA ».

Les avocats du président du PSG (Mes Francis Spziner, Grégoire Mangeat et Marc Bonnant) produiront prochainement une analyse économique du marché en question afin de démontrer qu’il n’y a pas eu de distorsion de concurrence et ainsi lever les accusations de « corruption privée ». « Il n’y avait pas de concurrent à l’époque sur le marché », note un proche du dossier, pointant « une situation monopolistique. » A la fin de mars, le MPC a autorisé les conseils de M. Al-Khelaïfi à accéder partiellement au dossier pénal.

Selon Le Parisien, la justice suisse s’est aussi polarisée sur un cadeau qu’aurait fait Nasser Al-Khelaïfi à Jérôme Valcke en 2015, à Doha : une montre de marque Cartier, d’une valeur estimée entre 10 000 et 20 000 euros. Dans le camp Al-Khelaïfi, on assure que cette montre, trouvée sous son oreiller par l’ex-numéro 2 de la FIFA, a été offerte à l’initiative du service protocolaire du Qatar.

La « villa Bianca »

Le parquet suisse s’intéresse surtout à une villa située à Porto Cervo, en Sardaigne. Selon la police italienne qui l’a perquisitionnée, elle serait « le moyen de corruption » utilisée par M. Al-Khelaïfi envers Jérôme Valcke. Baptisée la « villa Bianca », ladite demeure avait été visitée à deux reprises par l’ex-numéro 2 de la FIFA, à l’été 2013. Le Parisien était alors désireux de l’acheter.

A défaut de l’acquérir, M. Valcke a décidé de la louer pour y résider. Le Monde a eu accès au contrat de location. Dans ce document rédigé en anglais et en italien, il apparaît que la « villa Bianca », nichée dans le complexe balnéaire « Le Pleiadi », appartient à Abdelkader Bessedik, « manageur » de la société qatarie Golden Home Real Estate. Ce proche de Nasser Al-Khelaïfi a acheté la demeure (un temps estimée à 7 millions d’euros) contre 5 millions d’euros grâce à un prêt du patron du PSG. Selon les avocats du numéro 1 du club parisien, ce prêt a été remboursé.

Ledit contrat de location a été signé le 1er juillet 2014 par le représentant de Golden Home Real Estate et Jérôme Valcke, en tant qu’unique actionnaire de la société offshore Umbelina SA, domicilée aux îles Vierges britanniques, un paradis fiscal. Créée en 2013 pour acheter un yacht, Umbelina SA est notamment apparue, en 2016, lors du scandale des Panama Papers.

« Effectif entre les deux parties pour une période de quatorze mois », le bail de location de la villa Bianca s’étire du 1er avril 2014 au 31 août 2015 et est renouvelable pour douze mois. Le loyer annuel de la propriété s’élève à 96 000 euros. Le locataire doit s’acquitter de douze versements réguliers « par virement bancaire » de 8 000 euros. Dans le camp Valcke, on assure que le Français a bien payé son loyer.

Le contrat prévoit, en outre, le versement d’un dépôt de garantie de 16 000 euros. Plusieurs clauses relatives aux coûts de fonctionnement laissés à la charge du locataire, de la maintenance de la piscine et de l’ameublement établissent des déductions de loyers.

Si Nasser Al-Khelaïfi et Jérôme Valcke ont été entendus, en octobre, par le parquet suisse sur les conditions de la location de la « villa Bianca », ils n’ont en revanche jamais été auditionnés par le comité d’éthique de la FIFA. Pourtant, le « tribunal interne » de la Fédération avait diligenté une enquête préliminaire contre le président du PSG dès l’annonce de l’ouverture de la procédure pénale engagée par le MPC. Du côté du clan Al-Khelaïfi, on espère que le MPC refermera sa procédure, dans les prochains mois, et que la FIFA abandonnera sa plainte.