L’avis du « Monde » – à voir

Les autorités castristes, qui ont toujours su passer sans effort du lyrisme à la nov­langue, ont appelé cette époque « période spéciale en temps de paix ». C’était après la chute du mur de Berlin, lorsque Cuba se trouva privée du salami hongrois et du fromage bulgare, qui complétaient l’ordinaire, et de bien d’autres choses encore, au point qu’une bonne partie de la population fut frappée de malnutrition.

Le réalisateur colombien Jhonny Hendrix Hinestroza a voulu ressusciter ce moment cruel de l’histoire de l’île et en faire l’écrin d’un amour finissant. C’est un projet étrange, qui trouve son sens grâce à la présence à l’écran de deux acteurs de l’île, Alden Knight et Veronica Lynn. Ils donnent une chair lasse et frémissante à ces vieux amants, qui se débattent entre la pénurie et l’approche de la fin.

Victor Hugo (c’est son prénom) traîne son emphysème dans une fabrique de cigares où sa tâche consiste à lire la presse gouvernementale à ses collègues plus jeunes. Candelaria est lingère dans un de ces grands hôtels qui commençaient alors à accueillir un tourisme de masse, et parfois chanteuse dans une boîte de nuit. Ils ont tous deux passé les 70 ans depuis longtemps.

Erosion de tous les désirs

Hinestroza filme avec attention leur intérieur décati, où la vieille dame élève des poussins, plus pour la compagnie que dans l’intention de les faire cuire quand ils seront poulets. C’est un appartement mal éclairé, sur lequel l’obscurité s’abat au rythme des coupures de courant. Victor Hugo rapporte parfois une boîte de cigares soustraite à l’attention de l’encadrement et la revend à un ami plus jeune, qui traficote afin de financer son futur exil en Floride.

En insistant sur ces détails matériels, sur l’érosion de tous les désirs qu’entraîne la lutte quotidienne contre la pénurie, le cinéaste colombien trouve un rythme à la fois modeste et implacable, adouci par l’attention qu’il porte à ses personnages. Il montre ce qui tient : le système de santé, une culture faite de musique et de base-ball, et ce qui se défait : l’adhésion à un idéal politique, la foi dans l’avenir. Poussins et cigares font vivre le couple dans la crainte perpétuelle d’une descente des comités de défense de la révolution (CDR). Cette crainte abîme leur vie bien plus que des CDR qu’on ne verra jamais.

Les deux vieillards se mettent à se filmer, réveillant une passion qu’ils croyaient éteinte

Mais un jour, Candelaria trouve une caméra vidéo dans le panier à linge de l’hôtel. Au lieu de la rendre, ou de la revendre, elle la rapporte et les deux vieillards se mettent à se filmer, réveillant une passion qu’ils croyaient éteinte.

Cette audace bienvenue dans le scénario est un piège dont Jhonny Hendrix Hinestroza ne sait comment se sortir. L’intervention d’un vrai méchant, qui veut – et on peine à le croire – faire du couple des stars du porno amateur, et une succession de malheurs déportent le film du côté du mélodrame. Il ne s’en remet pas tout à fait, mais la conviction douce et ferme des acteurs et le plaisir manifeste que prend le cinéaste à filmer La Havane dans toute sa splendeur défaite permettent de ne pas sortir de la douceur ambiante du film.

Film colombien et cubain de Jhonny Hendrix Hinestroza. Avec Alden Knight, Veronica Lynn, Manuel Viveros (1 h 27). Sur le Web : www.sddistribution.fr/film/candelaria et www.facebook.com/sophiedulacdistribution