En décembre 2015, à Miami, en Floride. / JOE RAEDLE / AFP

On reconnaît ainsi les campagnes américaines. A ces boites aux lettres « US Mail », l’ancien nom de l’United States Postal Service (USPS), qui balisent les coins les plus reculés des Etats-Unis. L’USPS est aux Américains ce que le National Health Service est aux Britanniques : le seul service public.

L’épopée postale avait été lancée en 1775, lors de la nomination de Benjamin Franklin comme Maître général des postes. Elle a été poursuivie avec le Poney Express, lors de la conquête de l’Ouest. Elle se renouvelle chaque jour avec les 160 millions de boîtes aux lettres desservies par les 644 000 employés de l’USPS. Laquelle n’est même pas une entreprise, mais une agence fédérale, qui est le troisième employeur américain, derrière Wal-Mart et les forces armées.

Ainsi, lorsque Donald Trump accuse le leadeur mondial du commerce en ligne Amazon de ne pas payer assez cher les services de livraison de la poste – c’est-à-dire de l’US Postal – qui expédient 40 % de ses paquets, il ne s’attaque pas seulement à Jeff Bezos, patron d’Amazon et propriétaire du Washington Post, quotidien qu’il déteste autant que le New York Times. Il défend le monde d’hier, celui des « rednecks » (littéralement « nuques rouges ») qui ont fait sa victoire électorale de 2016 et qui ont la nostalgie. Nostalgie des usines, de Main Street et de ses magasins de proximité, et des fameuses boîtes aux lettres. Aujourd’hui bien vides.

Les pertes s’accumulent

La poste américaine a le monopole du courrier pour financer sa mission de service public universel, mais cela ne suffit pas : la chute du courrier a atteint 40 % depuis le pic de 2001. Depuis dix ans, l’USPS accumule les pertes. Elles ont atteint 2,7 milliards de dollars (2,2 milliards d’euros) en 2017 pour un chiffre d’affaires de 70 milliards de dollars, notamment parce qu’elle doit financer la retraite de ses salariés.

Avec l’arrivée d’Amazon et du commerce en ligne, la poste américaine s’est spécialisée dans la délivrance de paquets, y compris le dimanche, qui représentent aujourd’hui 19,5 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Le hic, c’est le prix de facturation. Donald Trump a, sur Twitter, accusé Amazon de sous-payer la livraison de paquets. « La poste perd 1,5 dollar en moyenne pour chaque paquet qu’elle livre pour Amazon », accuse le président, ajoutant que si elle augmentait ses tarifs, « les coûts d’expédition d’Amazon augmenteraient de 2,6 milliards de dollars. Cette exploitation de la poste doit s’arrêter. Amazon doit payer les vrais coûts – et ses impôts – maintenant ! ».

L’attaque venant de Donald Trump, ceux qui auraient, en d’autres temps, défendu la poste et les services publics, ont cherché à défendre Amazon, en invoquant la loi qui interdit d’expédier à perte ses paquets. Cette précaution avait été introduite à l’époque pour qu’elle ne profite pas de son monopole sur le courrier pour gagner des parts de marché dans l’expédition de colis de manière déloyale. Sauf que tout dépend de la manière dont on incorpore le coût fixe (le salaire du facteur, le coût de sa voiture, celui du centre de tri) dans la délivrance du paquet : coût marginal ou coût moyen ?

En 2007, la poste américaine et son conseil de surveillance ont décrété que 5,5 % des coûts fixes de l’entreprise seraient affectés aux colis. Sauf qu’ils représentent désormais le quart de ses revenus, lisait-on en 2017 dans le Wall Street Journal. Donald Trump n’a pas cité de source dans ses accusations, mais il s’est visiblement inspiré d’une très sérieuse étude de Citigroup, qui dénonce la « politique tarifaire intenable de la poste », qui va finir par faire payer le contribuable pour l’expédition quasi gratuite des colis. Pour changer cela, il faudrait qu’elle dispose d’un conseil d’administration. Neuf postes sur onze sont vacants, trois candidats désignés par Trump sont bloqués au Sénat. Faute d’atteindre le quorum de six membres, le conseil de la poste ne peut se réunir et ses manageurs gèrent les affaires courantes.

« Les magasins sont tous partis »

Le second reproche concerne Amazon, qui ne paierait pas ses impôts. « J’ai fait part de mes réserves sur Amazon bien avant l’élection. A la différence des autres, ils paient peu ou pas d’impôts, utilisent notre système postal comme garçon de course… et font faire faillite à des milliers de commerçants. » Ce reproche est daté. A partir de 2012, Amazon a commencé à prélever les taxes sur les ventes en Californie (l’équivalent américain de la TVA), mais il ne le fait que depuis avril 2017 dans tous les Etats américains pour ses ventes en propre. En revanche, il ne le fait pas lorsqu’il réalise des ventes pour compte de tiers, et les collectivités locales se plaignent que le géant ne paie pas les impôts locaux.

Une loi, pour laquelle la Cour suprême est saisie, stipule pour l’instant qu’un établissement qui n’est pas physiquement installé dans un Etat n’y est pas assujetti à l’impôt, ce qui avantage considérablement le commerce en ligne, mais pas Amazon, qui a désormais des entrepôts, et donc une présence physique, dans tous les Etats.

Une étude de l’université du Tennessee estimait que le commerce en ligne avait conduit à 25 milliards de dollars de pertes de revenus pour les Etats et les collectivités locales en 2015. La pratique est jugée déloyale par les commerçants locaux : « Regardez ces petites villes où ils avaient de belles rues principales [Main Street], les magasins sont tous partis », a déclaré, mardi 3 avril, Donald Trump aux dirigeants des Etats baltes invités à la Maison Blanche.

L’action Amazon a perdu 14 % par rapport à son plus haut, mais reste en hausse de 53 % sur un an.