L’avis du « Monde » – à ne pas manquer

Hermina Tyrlova (1900-1993), pionnière du cinéma d’animation tchèque et spécialiste de l’animation en volume à qui l’on doit notamment Ferda la fourmi (1944), n’aura pas attendu Toy Story pour imaginer que les jouets pouvaient prendre vie au cinéma. Dès 1946, elle signe ce petit joyau intitulé La Révolte des jouets, hymne à la résistance composé sur les décombres de la seconde guerre mondiale. Comme on s’en rendra compte, Hermina n’a pas davantage attendu Qui veut la peau de Roger Rabbit pour organiser la rencontre saugrenue de l’animation en volume et de la prise de vue réelle.

A la porte d’une ruelle sombre qui pourrait être celle du vieux Prague, un louche gestapiste observe par la fenêtre un honnête fabriquant de marionnettes tchèque qui est, précisément, en train de s’amuser avec une figurine à moustache carrée qui lève mécaniquement le bras, résumant sous la forme d’un distributeur de Pez le grotesque Adolf. Quand le nazillon force l’entrée de la masure, le brave homme s’enfuit par la fenêtre, jetant au passage le Führer dans un poêle, geste comique non dénué de profondeur tragique pour peu qu’on pense ici – et comment ne pas y penser – aux innombrables victimes d’Hitler anéanties dans les fours crématoires.

Un hommage à Skupa

Comment ne pas penser non plus, en l’occurrence, au terme par lequel les nazis, dans la métalangue euphémistique qui était la leur, désignaient leurs victimes dans les camps, par ce mot de « figuren » qui désigne, justement, des marionnettes, des figurines. On assistera donc ici à la revanche des marionnettes, spectacle qu’il est néanmoins permis aux tout-petits de savourer dans la pleine innocence de leur âge et du contexte historique où baigne ce récit faussement naïf, soutenu par la composition joyeusement dissonante de Julius Kalas. L’étrange ballet commence à l’entrée du gestapiste, au demeurant interprété par un acteur juif autrichien, Eduard Linkers, qu’on retrouvera notamment, bien plus tard, dans La Marquise d’O, d’Eric Rohmer. Inspectant rageusement la boutique, renversant meubles et figurines, tirant sur tout ce qui bouge, l’homme finit par s’estourbir lui-même avec le couvercle d’un coffre, moment judicieusement choisi par les marionnettes pour passer à la contre-attaque.

Un cinéma d’animation dont la riche histoire s’est souvent écrite avec des marionnettes et des poupées

Singes, chevaux, chiens, canards, éléphants, marins, coucous, pompiers, soldats d’infanterie et artilleurs se liguent contre le géant pour le faire déguerpir, à grands coups de canon dont l’obus d’honneur sera Adolf Hitler en personne, tiré intact du poêle qui était éteint, et propulsé, sauf votre respect, directement et profondément, dans le fondement de son subordonné en train de prendre la poudre d’escampette sous la mitraille. Deux autres films complètent ce clou du programme. De la même réalisatrice, construit sur le même mélange de prises de vue réelles et d’animation, La Berceuse (1947) montre deux jouets en bois charmant à un bébé en chair et en os pour l’endormir, une fois la porte de la chambre fermée. L’Aventure de minuit, signé de Bretislav Pojar en 1960, est quant à lui de la pure animation d’objets, mais joue sur le même motif de l’éveil nocturne des jouets, en l’occurrence un petit train de bois en rivalité avec un rutilant train électrique.

Lire la critique des « Nouvelles Aventures de Ferda la fourmi » : La saga d’un petit insecte tchèque

Ce programme très recommandable révèle donc quelques films oubliés ou méconnus d’un cinéma d’animation dont la riche histoire s’est souvent écrite avec des marionnettes et des poupées (Karel Dodal, Karel Zeman, Jiri Trnka, Jan Svankmajer, pour ne citer que quelques éminents représentants du genre). L’attrait de l’animation tchèque pour cette technique particulière s’enracine sans doute dans l’histoire non moins brillante du théâtre tchèque de marionnettes, dont Josef Skupa fut la figure tutélaire. Il n’est à cet égard pas interdit de voir dans La Révolte des jouets un hommage à Skupa, dont le théâtre fut fermé en 1944 par la Gestapo et l’auteur jeté dans la prison de Dresde, dont il se libérera à la faveur des bombardements alliés. L’art libératoire de la marionnette tchèque pourra dès lors défier le stalinisme.

La Revolte des jouets Bande-annonce VF (2018)
Durée : 01:37

Programme de trois courts-métrages d’animation tchèque d’Hermina Tyrlova et Bretislav Pojar (33 minutes). Sur le Web : www.facebook.com/malavidafilms et www.malavidafilms.com