Jacques Mezard (à gauche), ministre de la cohésion des territoires, et son secrétaire d’Etat, Julien Denormandie, le 20 septembre 2017. / ERIC PIERMONT / AFP

Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, et son secrétaire d’Etat, Julien Denormandie, doivent présenter, mercredi 4 avril en conseil des ministres, leur projet de loi « évolution du logement, de l’aménagement et du numérique » (ELAN) : un texte touffu qui aborde, en 66 articles, l’urbanisme, les normes de construction, la lutte contre l’habitat indigne, la copropriété, les rapports locatifs… Le projet de loi est « touche à tout » pour le collectif Vive l’APL qui réunit dix-huit associations de locataires, « aussi complexe que le jeu du Mikado » pour Unis, le syndicat des gestionnaires immobiliers, mais se présente comme « une boîte à outils » pour les organismes HLM réunis dans l’Union sociale pour l’habitat, qui critiquent cependant son « manque d’ampleur ».

La procédure d’urgence a été engagée pour un examen par les députés dès le 28 mai, visant une adoption à l’été. Deux rapporteurs ont été désignés pour le défendre, Richard Lioger et Christelle Dubos, députés LRM de Moselle et de Gironde.

A la lecture de l’exposé des motifs, le projet de loi ELAN apparaît fort ambitieux : construire plus, mieux et moins cher pour créer le fameux « choc d’offre » ; répondre aux besoins en logement de chacun ; favoriser la mixité sociale ; réformer en profondeur le secteur HLM… Il est cependant inabouti, renvoyant à pas moins d’une dizaine d’ordonnances à venir qui en donneront le détail. Une heureuse exception concerne les HLM puisque le gouvernement, qui veut réformer ce secteur en profondeur (regroupement d’organismes, vente en masse de logements, réexamen de la situation des locataires tous les six ans), a renoncé aux ordonnances sur ce point.

« Retour en arrière »

Pour simplifier les normes dans le bâtiment, la loi veut réécrire le code de la construction et le faire maigrir d’une page sur cinq en fixant aux constructeurs des objectifs de performance plutôt que des obligations de moyens. Un chantier minutieux, technique, dont la préparation a été confiée à Thierry Repentin, ancien délégué interministériel à la mixité sociale dans le logement du quinquennat précédent, et pour lequel le recours aux ordonnances est, dans ce cas, justifié. Il l’est moins s’agissant de la rénovation du fonctionnement des copropriétés, qui concerne 7,7 millions de foyers et mériterait bien un débat parlementaire.

Un autre objectif de la loi ELAN est d’alléger les normes d’accessibilité aux handicapés, donc de revenir sur la « loi Chirac » du 11 février 2005 qui prônait l’accessibilité universelle. Au lieu du « tout accessible » dans les bâtiments de plus de quatre étages, elle instaurera, comme c’est déjà le cas des logements pour étudiants, un quota de 10 % d’appartements répondant à ces exigences. « Ce retour en arrière est aberrant au moment où la population vieillit, juge Nicolas Mérille, de l’Association des paralysés de France, et où le ministère de la santé veut que les handicapés quittent les institutions et les foyers pour des logements adaptés. »

Beaucoup de mesures visent à accélérer l’acte de construire : juger les recours plus rapidement, rendre l’avis de l’architecte des Bâtiments de France consultatif mais plus obligatoire, dispenser les organismes HLM de concours d’architectes, promouvoir les systèmes constructifs de préfabrication en usine… Elles irritent les syndicats et l’ordre des architectes ou les associations de handicapés, qui y voient la main des lobbys de promoteurs ou de grands groupes de construction. Celui des agents immobiliers a, lui, obtenu que l’instance disciplinaire chargée de sanctionner les infractions à leur déontologie, le tout jeune Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières créé par la loi ALUR de mars 2014, ne remplisse désormais plus ce rôle et soit cantonné à une mission de concertation sur les textes de lois…

« Marchands de sommeil »

Dans le domaine des rapports locatifs, deux dispositions emblématiques sont proposées : la création d’un bail mobilité d’une durée d’un à dix mois, non renouvelable, sera destinée aux personnes en formation, études, stage, mutation ou mission professionnelles. Avantage : pas de dépôt de garantie à verser ni de caution à présenter, le dispositif Visal d’Action logement pouvant être mobilisé pour garantir les loyers impayés et les dégradations. Le bail mobilité est inspiré de l’expérience de « start-up » comme MorningCroissant qui propose des locations de moyenne durée, plus longue que la location touristique (trois mois au plus), plus courte que la location meublée (au moins un an, neuf mois pour les étudiants s’il s’agit de la résidence principale). « Le bailleur est rassuré, sait qu’il pourra récupérer son logement à la date prévue, et nous rendons service à des locataires qui n’auraient jamais eu accès à une location, faute de satisfaire aux exigences habituelles de solvabilité et de pérennité des revenus », explique Alix Tafflé, fondateur de MorningCroissant.

Le gouvernement est d’ailleurs persuadé qu’il y a un vrai gisement de logements vacants et de locations touristiques qu’une telle souplesse de contrat permettra de remettre sur le marché. « Entre l’encadrement des loyers et l’attrait de plates-formes comme Airbnb, nous avons, en effet, depuis deux ans, perdu 15 % des logements à proposer en location », confirme Fabrice Abraham, PDG du réseau d’agences immobilières Guy Hoquet.

Le bail mobilité fait, en revanche, bondir les associations de locataires, qui l’ont rebaptisé « bail précarité », redoutant que, en l’absence de tout contrôle et sanction, il se substitue aux contrats classiques de trois ou six ans : « Il ne correspond à aucun besoin et n’est souhaité ni par les professionnels ni par les locataires, critique Jean-Yves Mano, président de l’association Consommation logement et cadre de vie. Nous savons d’expérience qu’il sera détourné de son objet par des marchands de sommeil ou des bailleurs de mauvaise foi. »

« Il y a des risques, c’est vrai, reconnaît le rapporteur Richard Lioger, mais nous allons poser des garde-fous à l’aide d’amendements parlementaires et si, d’ici deux ans, nous constatons des dérives, nous y reviendrons. »

Autre mesure très regardée, l’encadrement des loyers, pourtant plébiscité dans la consultation auprès des adhérents de La République en marche (LRM), est réduit à la portion congrue par la loi ELAN : il s’agira d’une expérimentation pour cinq ans, laissée à l’initiative des métropoles, sur un périmètre de leur choix. On est loin de l’esprit de la loi ALUR qui l’avait prévue pour 28 agglomérations et à l’initiative de l’Etat.

La loi solidarité et renouvellement urbains, de décembre 2000, qui prévoit 25 % de logements sociaux dans les communes urbaines, n’est théoriquement pas remise en cause par ce nouveau texte, excepté sur un point : en cas de vente de logements sociaux, ils pourront rester dans la comptabilité de ce quota dix ans au lieu de cinq. Mais des élus, notamment des députés LRM, dont Richard Lioger, ne cachent pas leur volonté d’assouplir la règle et d’intégrer à ce quota les logements dits intermédiaires.