L’ancien président brésilien Lula, à Sao Paulo, le 22 février. / MIGUEL SCHINCARIOL / AFP

Il était un peu plus de 14 heures, mercredi 4 avril, quand l’ancien chef d’Etat a quitté son appartement de Sao Bernardo do Campo, ville industrielle de la banlieue de Sao Paulo au Brésil. De ce logement sans charme, typique de la petite bourgeoisie pauliste qu’il occupe depuis plus de vingt ans, Luiz Inacio Lula da Silva, 72 ans, a rejoint le syndicat des métallos. Lieu où, pour l’ancien tourneur de l’usine Volkswagen, tout avait commencé, et où tout s’est brutalement arrêté.

Après plus de dix heures de débats à la Cour suprême, le « jugement du siècle » brésilien est tombé. Lula, président de 2003 à 2010, « père du peuple », figure de la lutte ouvrière sous la dictature, condamné à plus de douze ans de détention pour corruption en janvier, n’échappera pas à la prison. Par six voix contre cinq, les juges lui ont refusé un habeas corpus. Défait, le vieil homme, habitué aux bravades n’a, cette fois, pas pris la parole.

Au syndicat des métallos, devant la télévision, Sidinci Ebraça, ouvrier métallurgiste chez Mercedes à Sao Benardo do Campo, a cru jusqu’à la dernière minute au sauvetage de son héros avant d’être submergé par le chagrin et la colère. « Avant on ne parlait que de la crise et du FMI [Fonds monétaire international]. Lula a tout changé, les enfants pauvres ont pu aller à l’université. Dans les villages reculés, l’eau courante, la lumière sont arrivées », raconte-t-il. « Il n’y a pas de preuves contre Lula ! On va faire la révolution », prévient-il. « Lula a été victime d’un tribunal d’exception », ajoute, à ses côtés, Hajj Mangolin, vendeur de livres.

Un pays déchiré

La Cour suprême s’est défendue de juger « le legs économique et social » d’un homme hier classé parmi les plus grands leaders politiques au monde. Pourtant, ce n’était pas seulement le sort de Lula qui se jouait, mercredi, à Brasilia mais aussi celui d’un pays « qui ne regarde ni ses pauvres ni ses favelas », a reconnu le juge Dias Toffoli, favorable à l’habeas corpus.

Jamais une décision n’aura autant déchiré le Brésil, opposant ceux qui continuent de vénérer l’ancien chef d’Etat comme un demi-Dieu à ceux qui le considèrent comme le pire bandit de l’humanité, responsable du saccage des comptes publics et de la perpétuelle stagnation du géant d’Amérique latine.

L’ambiance, électrique, est montée d’un cran quand le chef d’état-major des armées a fait part, la veille du vote, de sa répulsion envers « l’impunité » rappelant que l’« armée restait attentive à sa mission institutionnelle ».

« La politique est-elle devenue folle ? La justice a-t-elle perdu la boussole ? La société est-elle tombée malade ? Sommes-nous tous drogués au poison de l’irrationalité ? », écrivait le 3 avril, sur le site El Pais Brasil, le journaliste Juan Arias, ajoutant, perplexe : « Comment comprendre qu’un personnage messianique comme l’ex-président Lula, qui fit la fierté de son pays, se soit soudain transformé en un homme à abattre, capables de déchaîner les pires instincts ? »

Coup de grâce

Difficile, de fait, d’imaginer que Lula ait troqué son slogan « paix et amour » de 2002 pour un discours grognard envers « les élites », les « juges » ou « les marchés ». Que cet homme de la conciliation qui se vantait d’avoir enrichi les banquiers, devienne la bête noire des milieux d’affaires. Que cette haine ait conduit à tirer sur sa caravane qui sillonnait, en mars, le pays en prévision de l’élection présidentielle d’octobre.

« Lula avait su séduire une partie de la petite bourgeoisie dont la vie s’est améliorée lors de son premier mandat mais, celle-ci a commencé à s’éloigner au moment du scandale du mensalao », analyse Daniel Pereira Andrade, sociologue à la fondation Getulio Vargas à Sao Paulo. Cette affaire a révélé, en 2005, un système crapuleux consistant à acheter les voix des parlementaires, donnant au Parti des travailleurs (PT, gauche) l’image d’un « parti comme les autres ». C’est-à-dire, corrompu. L’affaire n’a pas empêché Lula d’être réélu en 2006, mais l’aura du président, multipliant compromissions et alliances avec les personnages peu recommandables de Brasilia, s’est écornée.

Le coup de grâce viendra avec l’arrivée au pouvoir de sa dauphine Dilma Rousseff, en 2010 et le déclenchement de l’opération anticorruption « Lava Jato » (lavage express) mettant au jour un tentaculaire réseau de corruption impliquant entreprises publiques, groupes privés et politiciens.

La gauche comme la droite, seront visées, mais le PT en sera la première victime et Lula, le protagoniste. L’affaire, ajoutée aux maladresses économiques et politiques de Dilma Roussef conduiront la rue à réclamer la destitution de la présidente, effective en 2016 à la suite d’un « impeachment » (mise en accusation) polémique.

Corruption à grande échelle

« Pour beaucoup Lula représentait l’espoir. Mais une fois au pouvoir il s’est comporté comme tous les politiciens », estime Carlos Fernando dos Santos Lima, procureur à Curitiba, ville où est née « Lava Jato ». « La corruption au Brésil, ce n’est pas Lula ou le PT, ce sont tous les partis au pouvoir. Lava Jato a révélé comment la politique était financée. On peut croire aux contes de fées, s’aveugler ou affronter la réalité. Lava Jato a exposé les faits », ajoute le magistrat.

Les suites rocambolesques de « Lava Jato » ont, de fait, révélé une corruption à grande échelle infiltrée dans les petites municipalités de province comme au palais présidentiel de Brasilia occupé aujourd’hui par Michel Temer.

« Lula conserve la reconnaissance et l’admiration des Brésiliens. La différence c est qu’avant, la rue était toute à lui, désormais il a face à lui une opposition », commente un cacique de Brasilia. Cette opposition, formée notamment par le Movimento Brasil Livre (MBL) prônant l’ultralibéralisme économique et l’ultraconservatisme des mœurs, défilait mardi soir dans une cinquantaine de villes pour réclamer l’emprisonnement de Lula.

Crâne dégarni et polo Lacoste recouvert d’un drapeau brésilien, Celso Bazeio, entrepreneur immobilier de 72 ans faisait partie du cortège sur l’avenue Paulista à Sao Paulo. « Lula doit aller en prison. Et avec lui tous les autres bandits ! », réclamait-il. Mercredi soir, une partie du pays doutait : Lula ne sera-t-il pas le seul à payer ?