Stéphane Bourgoin. / RING

Il va de plateaux de télévision en colloques, de sessions de formation dispensées à l’Ecole nationale de la magistrature à des interventions auprès de psychiatres ou de commissaires de police, ce qui ne l’empêche pas de continuer à interroger des criminels récidivistes un peu partout dans le monde. Dès qu’il s’agit de crimes et de faits divers sanglants, Stéphane Bourgoin est appelé à témoigner de son savoir acquis auprès de plus de soixante-dix « serials killers » (surtout américains) qu’il a interrogés et filmés depuis presque quarante ans. Auteur d’une cinquantaine de livres et de documentaires sur le sujet, Stéphane Bourgoin vient de publier L’Homme qui rêvait d’être DexterLes Terrifiantes confessions du réalisateur d’un « Star Wars » devenu serial killer (Ring).

Contrairement à ce que montre la série Mindhunter, créée à partir des écrits de l’agent John Douglas, le terme de « serial killer » n’aurait pas été imaginé au sein du FBI vers la fin des années 1970 ?

Comme beaucoup, j’ai longtemps cru que le terme avait été inventé par un agent du FBI ; ils ont d’ailleurs été plusieurs à s’en disputer la paternité. En fait, on trouve cette référence, déjà, dans la bouche du directeur de la police criminelle à Berlin, Ernst Gennat, qui a travaillé dans les années 1930 sur le cas du « vampire de Düsseldorf », Peter Kürten.

Ernst Gennat emploie pour la première fois la dénomination de « serial murderer » en 1932, lors d’un entretien qu’il accorde à un journal, entretien publié par un psychiatre allemand, Karl Berg, lequel avait longuement interrogé Peter Kürten. Il faisait alors référence à ce que l’on appelle aujourd’hui un « tueur en série ». Cela dit, ce sont les agents du FBI qui ont inscrit ce terme dans le marbre dans les années 1980. Alors qu’auparavant, on qualifiait ce type de personnage de « mass murderer » ou de « tueur fou ».

La définition de « tueur en série » communément admise vaut pour quelqu’un qui a commis au moins trois meurtres, espacés dans le temps. Vous y ajoutez « un mobile d’ordre psychologique ». Pourquoi ?

Cela permet de différencier ce type de criminels de tueurs professionnels comme les tueurs à gage, par exemple. Les tueurs en série sont presque tous des psychopathes, des gens qui ont des troubles du comportement (perversion, sadisme, nécrophilie, etc.), mais qui ne souffrent pas de maladie mentale. Toute société compte en son sein 2 % à 3 % de personnes qui ont des troubles de psychopathie : ils sont menteurs, manipulateurs, ne s’intéressent qu’à eux. Ils ont tout à fait conscience de leurs actes mais s’en moquent totalement. Pour eux, les victimes sont des objets destinés à assouvir leurs pulsions.

Crimes : Ed Kemper, Otis Toole, Gerard Scheafer
Durée : 50:30

Selon vous, ils font même « le choix » de devenir tueurs en série…

Oui, parce qu’on ne naît pas tueur en série. On le devient. Ces criminels franchissent en effet un certain nombre de paliers. Lorsqu’on examine le parcours des tueurs en série (Emile Louis, Guy George, Patrice Allègre, Jacques Rançon, etc.), ils ont tous un parcours dans la délinquance dite ordinaire avant de passer aux crimes les plus graves. Ils continuent d’ailleurs à commettre des actes de délinquance tout en étant des tueurs en série.

Avant de commettre sa première agression sexuelle, vers quinze ans, Jacques Rançon, dit le « tueur de la gare de Perpignan », dont le procès vient de se terminer, a déjà volé quarante-huit véhicules. Même chose pour Patrice Alègre : il est dans le trafic de stupéfiant, des cambriolages, des vols à caractère fétichiste, devient le bras armé d’un proxénète à Toulouse, videur de boîte de nuit et dealer, avant de devenir tueur en série.

Ils auraient pu ne pas devenir tueur en série…

Tout à fait ! C’est une volonté délibérée chez eux. Ils sont souvent mus par un fantasme, qui peut être une haine vis-à-vis des femmes, de leur mère, de la société, etc. Il est vrai que leur premier crime reste toujours un mystère. Ils se trouvent confrontés, cette fois-là, à une situation où ils sont en capacité d’incarner leurs fantasmes dans la vie réelle. Puis ils se rendent compte que ça leur plaît, d’où leur envie de réitérer leurs actes.

Donald Harvey, « l’infirmier de la mort » américain qui a assassiné 87 personnes m’a dit, textuellement : « Lorsque je tue, pour la première fois de mon existence je ne suis plus une victime. C’est moi qui décide de la mort de telle ou telle personne, je deviens en quelque sorte l’égal de Dieu. »

Vos entretiens avec des « serial killers » vous ont-ils montré, comme l’indique l’expert psychiatre Daniel Zagury, que ces criminels ont subi des carences ou des déficiences graves dans leur toute petite enfance ?

Oui, je suis totalement en accord avec Daniel Zagury. On découvre presque toujours des familles dysfonctionnelles, des problèmes d’alcool et/ou de drogue au sein de la cellule familiale, d’abandon parental, une absence récurrente de la figure paternelle, des abus physiques, psychologiques ou sexuels. Mais comme Daniel Zagury, j’insiste aussi sur le fait que des milliers d’enfants maltraités ou abusés ne choisissent pas de devenir des délinquants, et encore moins des tueurs en série.

Paroles d'assassins
Durée : 01:17:37

Les estimez-vous plus intelligents que la moyenne ?

Il s’agit d’une image véhiculée par la fiction, le plus souvent : quelqu’un d’omniscient, de manipulateur, qui calcule les choses à l’avance tel un joueur d’échec. C’est vrai d’un Ed Kemper, comme on le voit dans la série Mindhunter (on lui a trouvé un quotient intellectuel supérieur à celui d’Einstein), ou d’un Mark Twitchell, comme on s’en aperçoit au travers de son journal personnel, que je publie dans mon livre L’Homme qui rêvait d’être Dexter, mais j’en ai rencontré beaucoup de frustes.

S’ils peuvent parfois donner l’impression d’être plus intelligents que la moyenne, c’est qu’ils ont eu affaire à la police et la justice quasiment depuis leur adolescence, qu’ils savent donc comment les enquêtes sont menées, et savent user de ruse et d’intelligence vouée au mal en raison de cette longue expérience dans la délinquance. En anglais, sans qu’on ait un équivalent en français, on les qualifie à raison de « street wise », de « street smart ».

Peuvent-ils toujours expliquer ce qu’ils ont fait, ou est-ce souvent un point aveugle dont ils ne peuvent rien dire ?

Mon but, en restant de longues heures avec eux, c’est d’arriver, petit à petit, à ouvrir la porte de communication, de façon que je devienne leur confident, voire une forme d’« ami ». Or la plupart du temps, ils ont un souvenir très précis des actes qu’ils ont commis, et même de l’état dans lequel ils se sentaient.

Seuls deux ou trois, sur les soixante-dix-sept que j’ai rencontrés, n’ont rien pu me dire. En général, ils sont tout à fait capables d’une forme d’auto-analyse. Quelquefois ils l’expriment de manière très crue, parfois de façon très sophistiquée comme un Ed Kemper. Cela dit, il faut toujours se rappeler que l’on a affaire à des psychopathes, menteurs invétérés et manipulateurs.

Ed Kemper a pu passer plus de dix heures à m’évoquer un seul de ses crimes. Et cela vingt ans après les faits… J’ai mené plus de 300 heures d’entretien avec lui – vous en trouverez des extraits sur Youtube. Il est un peu un cas à part dans la profondeur de l’auto-analyse, même s’il me ment à de nombreuses reprises.

A l’opposé, certains peuvent se montrer incapables de s’exprimer par la parole. C’est le cas de Jacques Rançon, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, le 26 mars. Je ne l’ai pas rencontré, mais au vu des procès-verbaux de ses interrogatoires et des images de reconstitution de ses crimes, on s’aperçoit qu’il est très à l’aise, lors des reconstitutions : il décrit tous ses gestes dans les moindres détails (notamment comment il découpe ses victimes à la lueur du clair de lune), alors qu’il a paru tétanisé et quasi muet lorsqu’on le questionnait pendant les trois semaines de son procès à Perpignan.

Etes-vous sollicité, comme conseiller, en France, pour des fictions traitant de tueurs en série ?

J’ai surtout initié, dès les années 1990, les premières émissions de télévision, documentaires ou reportages, sur les tueurs en série. De nombreux clins d’œil ont été faits à mon travail dans des fictions, ne serait-ce que dans la série La Mante de TF1, achetée par Netflix, mais sans que je participe au scénario.

Récemment, j’ai signé un contrat pour écrire, avec Jérôme Camut et Nathalie Hug, une série de fiction pour la télévision, sans doute anglo-saxonne, qui s’appellerait Serial Hunter. Si ce projet aboutit, il s’agira de la confrontation entre un enquêteur, un peu à l’image de ce que je fais, avec des tueurs en série qui aideront à l’enquête.

J’ai aussi rencontré la réalisatrice Josée Dayan qui aimerait tourner un téléfilm autour mon travail. Et d’ici à un an, je devrais de nouveau partir interroger d’autres tueurs en série à travers le monde, pour une nouvelle série documentaire.

J’ai aussi commencé à écrire un thriller, fiction, pour les éditions Grasset, et je prépare un livre sur les techniques de « profiling », d’analyse comportementale, pour lequel j’ai interrogé un grand nombre de spécialistes, policiers ou gendarmes, psy ou agents du FBI, depuis l’Amérique du sud jusqu’en Russie.