Un amendement visant à « créer l’obligation » de mettre gratuitement à disposition des « doggy bags » a été adopté, le 21 mars, à l’Assemblée nationale. / mayeesherr (CC BY 2.0)

Les restaurateurs seront-ils bientôt tenus de proposer un « doggy bag » aux clients qui n’auront pas terminé leur assiette ? Un amendement visant à « créer l’obligation » de mettre gratuitement à disposition « des contenants réutilisables ou recyclables permettant d’emporter les aliments ou boissons non consommés sur place » a été adopté, le 21 mars, par la commission développement durable de l’Assemblée nationale.

Il répond, selon les députés, à l’objectif fixé en avril 2017 par le Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire de diviser par deux le gaspillage alimentaire d’ici à 2025. Les pertes de nourriture sont en effet cinq fois plus élevées en restauration commerciale qu’à domicile et s’élèvent à 27 %, les « restes d’assiette » représentant 11 % de ces pertes, selon une étude de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) en mai 2016.

Pour entrer en vigueur, l’amendement doit être voté par la commission économique, puis par l’ensemble des députés. Mais outre les étapes juridiques, les habitudes des Français sont un obstacle sans doute encore plus grand à la popularisation du « doggy bag ». Car son usage, aujourd’hui, reste marginal.

En France, « les portions sont maîtrisées »

En 2014, La Brasserie bordelaise, qui proposait déjà des « doggy bags », expliquait au Monde qu’une dizaine de clients par soir en demandaient, sur 400 couverts. Quatre ans plus tard, cette proportion n’a pas changé. « Le nombre de demandes est du même ordre, bien que l’on ait toujours proposé une boîte à ceux qui souhaitaient emporter leurs restes, explique Camille Lacoste, assistante commerciale de l’établissement. Mais ceux qui la demandent sont en très grande majorité des étrangers – beaucoup sont américains, quelques-uns sont britanniques. »

L’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (UMIH), qui a « regretté » l’adoption d’un tel amendement, se dit favorable au développement du « doggy bag », mais ne veut pas d’une « obligation supplémentaire ». Dans un communiqué, elle rappelle avoir signé des partenariats pour accompagner les professionnels à proposer des « doggy bags », comme avec la société TakeAway, qui commercialisait des boîtes cartonnées à emporter jusqu’en 2017.

En 2015, 10 000 boîtes avaient été distribuées aux restaurateurs. « La demande des clients n’était pas forte à l’époque et n’a pas vraiment augmenté depuis, constate Hubert Jan, président de la branche restauration de l’UMIH. En France, les restaurateurs visent le zéro dans l’assiette et dans le frigo, donc les portions sont maîtrisées. »

« Il y a un sentiment de honte »

« En France, on a toujours une alimentation très domestique, on mange très souvent chez soi, plus qu’à l’étranger, avance aussi Anne Lhuissier, sociologue spécialisée dans les pratiques d’alimentation, pour expliquer le faible engouement des Français. Des services de livraison existent depuis quelques années mais il est encore rare de manger chez soi un plat préparé à l’extérieur. Il faut aussi noter que dans les pays où il est très utilisé, comme les Etats-Unis, les portions sont plus conséquentes. »

La sociologue évoque également la crainte d’un refus embarrassant chez les clients souhaitant demander un « doggy bag ». « Il y a un sentiment de honte, ce qui est assez bizarre, puisque à partir du moment où on a payé son plat, rien n’empêche de repartir avec », confirme Laurent Calvayrac, fondateur de L’Emballage vert, qui a proposé de 2014 à 2016 des boîtes 100 % recyclables pour emballer ses restes au restaurant, avant de cesser cette activité.

Pour Bérangère Abba, députée La République en marche de Haute-Marne, à l’origine de l’amendement, le fait d’obliger les restaurateurs à proposer une boîte permettra de faire disparaître cette appréhension. « Grâce à ce texte, le client sera certain que le restaurateur est équipé », dit-elle, estimant qu’il faut « lever un frein psychologique. »

Selon une étude de 2014 de la Direction régionale de l’alimentation, de l’agriculture et de la fôret (Draaf) Rhône-Alpes menée auprès de 2 700 consommateurs, 95 % des personnes interrogées se disaient prêtes à emporter leurs restes. Ne reste plus qu’à sauter le pas…