La dirigeante birmane, Aung San Suu Kyi, à Myanmar, le 30 mars. / STRINGER / REUTERS

Editorial du « Monde ». Deux ans après son arrivée au pouvoir, le bilan du gouvernement dont Aung San Suu Kyi, l’ex-icône de l’opposition démocratique birmane, est de facto la chef, s’avère cruellement décevant.

Après des années de résistance digne et courageuse contre la dictature, dont une quinzaine passées assignée à résidence, Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix, a réussi à arracher à la junte militaire une transition négociée et des élections. Son parti, la Ligue nationale démocratique (LND), a remporté une victoire écrasante aux premières élections libres de l’automne 2015, mais la « Lady », comme l’appellent les Birmans, était constitutionnellement empêchée de briguer le poste de présidente parce qu’elle avait été mariée à un Britannique. Lors de la formation du gouvernement, en mars 2016, elle s’est donc contentée du poste de ministre des affaires étrangères, assorti du titre de conseillère d’Etat, ce qui a fait d’elle, en réalité, l’équivalent de première ministre.

Il semble, malheureusement, qu’Aung San Suu Kyi, aujourd’hui âgée de 72 ans, ait mieux réussi dans l’épreuve de la dissidence que dans l’exercice du pouvoir. Certes, son autorité reste considérablement limitée par les termes de l’accord passé avec les militaires : 25 % des sièges du Parlement leur sont réservés, et ils ont gardé tous les leviers de l’appareil sécuritaire et régalien. Le plus grand reproche qui lui est fait à l’étranger, celui de sa passivité face à la terrible opération de nettoyage ethnique de l’armée birmane ayant chassé les musulmans Rohingya vers le Bangladesh, est logique. Il n’était probablement pas réaliste, pourtant, d’attendre d’elle qu’elle puisse empêcher les forces armées de commettre ces exactions.

Déception des jeunes militants

Mais son bilan n’est guère plus brillant dans les domaines dans lesquels elle a plus de marge de manœuvre : l’éducation, le développement, la santé, la lutte contre la pauvreté. Peu de progrès ont été accomplis de ce point de vue, dans un pays dont 40 % des 51 millions d’habitants vivent au-dessous du seuil de pauvreté. Les experts déplorent une absence de vision et de stratégie globale du gouvernement, dont les quelques initiatives sont par ailleurs lourdement entravées par une bureaucratie héritée de la dictature.

Un autre problème est soulevé jusque dans le camp d’Aung San Suu Kyi : sa façon d’exercer le pouvoir, son autoritarisme tatillon, sa tendance à privilégier la loyauté plutôt que la compétence dans le choix de ses ministres et conseillers. Les vétérans de la LND, ceux qui ont passé des années en prison dans des conditions très dures, n’ont pas vu la société évoluer et se révèlent souvent incapables de s’adapter à une action politique ouverte. Les jeunes militants, ceux qui ont été élus députés dans l’enthousiasme de la vague LND de 2015, sont déçus par leur impossibilité à faire bouger les choses ; plusieurs d’entre eux ont déjà fait savoir qu’ils ne se représenteraient pas aux prochaines élections.

Tout aussi inquiétante est l’incapacité de la LND à résister aux attaques contre la liberté de la presse, l’un des grands acquis de la transition. Un proche d’Aung San Suu Kyi, Win Myint, ancien prisonnier politique, vient d’être désigné à la tête de l’Etat. On le dit plus aguerri et plus motivé que son prédécesseur, très effacé. Sera-t-il le coéquipier capable de donner un nouveau souffle à l’équipe de la Prix Nobel ? C’est ce que l’on peut souhaiter de mieux à la Birmanie.