Souche d’un châtaignier après l’opération d’élagage sur la RD143, en Corrèze. / DR

Un singulier « facteur » à VTT s’est présenté, vendredi 6 avril, à l’hôtel de Roquelaure, dans le VIIe arrondissement de Paris, pour délivrer au ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, une missive dénonçant le « massacre des arbres » en cours en Corrèze.

Parti le 31 mars de Tulle, Sébastien Birou, membre du collectif des Arboristes grimpeurs pour des interventions respectueuses et raisonnées (AGIRR19), a pédalé plus de 400 km pour interpeller M. Hulot. En son absence, le messager de 48 ans et une petite délégation de défenseurs des arbres ont été reçus durant une heure trente par Pastèle Soleille, ingénieure en chef des ponts, des eaux et des forêts et sous-directrice de la qualité du cadre de vie au ministère. Leur interlocutrice a, disent-ils, « bien noté » les « problématiques ».

L’affaire a débuté en septembre 2017 lorsque, au nom de la préservation du réseau routier et de l’installation – d’ici à 2021 – de la fibre optique par réseau aérien, le président (LR) du conseil départemental, Pascal Coste, a adressé une lettre comminatoire aux 28 000 propriétaires riverains de routes départementales.

L’écrit intimait l’« enlèvement des bois empiétant ou surplombant le domaine public », faute de quoi les travaux seraient exécutés « d’office » par le département qui présenterait alors la facture aux riverains concernés. Dix mille arbres ont déjà été coupés dans le cadre de cette opération prévue en trois phases jusqu’en 2021 sur 4 700 km de routes principalement bordées de chênes, de hêtres et de bouleaux, parfois centenaires.

Spectacle de désolation

Philippe Brugnon, 77 ans, dont l’exploitation se trouve à cheval sur les communes de Goulles et Saint-Bonnet-les-Tours-de-Merle, dans le canton de Tulle, a reçu l’injonction en double exemplaire, et l’a ignorée. Les tronçonneuses n’en ont pas moins œuvré dans son voisinage. « L’une des deux routes menant chez moi ressemble désormais à une zone de combat avec ses troncs coupés à 1 m de hauteur », se désespère-t-il.

Pour économiser des frais d’élagage atteignant parfois plusieurs milliers d’euros, certains propriétaires se sont en effet résignés à l’abattage pur et simple de leurs arbres. « Beaucoup l’ont laissé faire par des forestiers peu scrupuleux qui en ont parfois coupé davantage et se sont rémunérés en emportant le bois », confie M. Brugnon.

Le spectacle de désolation de ces arbres « en drapeau » (amputés de la moitié de leurs branches) ou rasés heurte si profondément l’éthique du « facteur Birou » et d’une quinzaine de ses collègues arboristes-grimpeurs, qu’ils ont fondé le collectif AGIRR19.

S’ils reconnaissent la nécessité « d’enlever certains arbres malades ou dangereux en bord de route », les membres d’AGIRR19 se refusent à travailler dans l’urgence à l’encontre des bonnes pratiques. « S’occuper des arbres, c’est un métier, rappelle Benoît Gillie, 33 ans. Nous avons une formation en biologie, physiologie, architecture et pathologies de l’arbre, nous ne voyons donc aucune raison de blesser des arbres sains qui forment des corridors écologiques et patrimoniaux, et ont des fonctions d’ombrage et de maintien des talus. »

Une pétition en ligne lancée, fin janvier, pour la suspension de la campagne d’élagage a déjà recueilli plus de 26 000 signatures. « C’est la première fois à l’échelle d’un département entier que le pouvoir politique décide de faire élaguer systématiquement et autoritairement tous les arbres appartenant aux riverains en bordure d’une départementale », tempête Louis Dubreuil, 67 ans, paysagiste, membre de la Société française d’arboriculture et conseiller technique de l’Association pour la protection des arbres en bord des routes, qui promet de porter ce contentieux devant la justice si nécessaire.

Réputé pour ses passages en force

Outre le non-respect de l’article L350-3 du code de l’environnement qui a créé, en 2016, un régime de protection spécifique des allées et alignements d’arbres, Antoine Gatet, juriste pour l’association Corrèze environnement, souligne le cadre juridique approximatif dans lequel agît le département.

Les propriétaires riverains n’auraient en effet pas à financer l’opération décrétée par M. Coste. « Le code de la voirie routière impose une obligation d’entretien des routes par le département, or la route, c’est aussi les bas-côtés, les fossés et les talus », explique M. Gatet. Quant à l’élagage destiné à préserver la fibre optique, « il est de la compétence des communes et du département, et relève du code des postes et télécommunications qui prévoit que l’opération doit être effectuée dans le respect de l’environnement et des riverains », dit-il.

Après l’opération d’élagage près de l’étang de Chaleix (Corrèze). / DR

Selon M. Gatet, l’élagage doit être réalisé « à l’échelle communale ou par tronçons cohérents, en fonction de la présence d’espaces ou d’espèces protégés » et en concertation avec les associations environnementales. Ces dernières, nombreuses, demandent donc un moratoire au département. « Les moratoires sont synonymes d’immobilisme et prétexte à ne rien faire avant d’abandonner l’objectif initial », leur a répondu le « Président Coste » dans un courrier du 5 avril.

A 51 ans, cet éleveur, ancien président du syndicat professionnel Jeunes Agriculteurs et ancien secrétaire général de la FNSEA à la tête du département depuis 2015, est réputé pour ses passages en force. Surnommé le « Bulldozer » par ses opposants, il « assume » le ton « abrupt » de ses courriers, seul moyen, dit-il, qu’ils ne servent pas « à caler les armoires ».

Les résultats sont mitigés. « Sur 12 000 propriétaires concernés par la première phase, environ 4 000 nous ont fait savoir qu’ils élagueraient eux-mêmes, 1 000 ont choisi l’opération groupée proposée par le département, mais plus de 7 000 n’ont pas daigné répondre », a-t-il précisé, agacé, au Monde.

Refus de tout moratoire

Il n’a pas digéré non plus le passage, le 31 mars, du président de la Ligue pour les oiseaux, Allain Bougrain-Dubourg, qui a qualifié l’opération de « grand n’importe quoi » et s’est ému de coupes pratiquées « en pleine période de reproduction ». « Les oiseaux ne sont pas cons, ils vont nicher au cœur de la forêt, loin des routes », se défend M. Coste.

S’il refuse tout moratoire, l’élu a lâché du lest face à la mobilisation. Le 5 avril, dans son courrier aux associations, il s’est engagé à « adapter la méthode », à renoncer aux exécutions d’office de travaux pour 2018 et a promis un « guide des bonnes pratiques de l’élagage ». « On passe du coercitif au contrat de confiance et d’engagement pour atteindre l’objectif d’ici trois ans », martèle-t-il toutefois.

Selon lui, la Corrèze n’est en rien « défigurée » par l’opération qu’il pilote. « Un million et demi d’arbres sont abattus chaque année dans le département pour l’exploitation et la valorisation forestière, et on déplore 10 000 arbres coupés ces six derniers mois ? », feint-il de s’étonner.

Alerté par la lettre de Corréziens « à l’ancien patron de [leur] département », François Hollande, s’attend à être interpellé sur le sujet, le 14 avril, à Tulle où il dédicacera son dernier livre, Les Leçons du pouvoir (Stock, 288 p., 22 euros). Durant son mandat de président du conseil général de Corrèze de 2008 à 2012, l’ancien président de la République a « parfois » eu à régler des « questions d’arbres à traiter » mais il est surpris par l’« ampleur » et le « caractère systématique » du projet de M. Coste. « A moins qu’il y ait des arbres malades ou représentant des risques pour la sécurité, il faut préserver les équilibres et les paysages », a-t-il déclaré au Monde.