A l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne, en janvier. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

La mobilisation contre la réforme de l’accès à l’enseignement supérieur ne se fait pas que dans les assemblées générales étudiantes et les blocages d’une dizaine d’universités, qui ont fait la « une » ces derniers jours. En coulisses, certains enseignants-chercheurs, minoritaires, espèrent bien être les grains de sable qui enrayeront la machine Parcoursup : ils refusent de classer les milliers de lycéens qui postulent à l’université via la nouvelle plate-forme d’admission post-bac.

Ce tri, instauré par la nouvelle loi orientation et réussite des étudiants (ORE), repose sur l’examen des dossiers des élèves de terminale ou étudiants en réorientation. Il doit servir à départager les candidats dans le cas où ils sont plus nombreux que les places disponibles. Il détermine aussi l’ordre dans lequel les réponses seront données, à partir du 22 mai. Ce classement doit enfin permettre de repérer les candidats auxquels proposer un parcours personnalisé (remise à niveau, licence en quatre ans…).

Lille, Bordeaux, Paris-I, Paris-X, Aix-Marseille ou encore Lyon… En tout, les équipes enseignantes d’une soixantaine de formations, principalement en sciences humaines et sociales, ont voté des motions indiquant qu’ils ne participeront pas à ce classement, selon un décompte de l’association Sauvons l’université. Une position défendue par le Snesup-FSU, syndicat de personnels de l’enseignement supérieur opposé à la réforme.

« Nous ne sommes pas des chasseurs de tête. Que ceux qui ont porté cette réforme l’assument »

Ils expliquent les raisons de leur mécontentement dans une « Lettre ouverte aux bacheliers » à paraître dans la presse. « L’université française n’a pas besoin de trier les candidats, elle a besoin de moyens pour garantir une place à tous les bacheliers dans la formation de leur choix », peut-on lire dans ce document. Plus globalement, « cette loi met en place les conditions de la mise en œuvre de la sélection, et nous ne sommes pas des chasseurs de tête. Que ceux qui ont porté cette réforme l’assument », estime Thomas Alam, maître de conférences en science politique à l’université de Lille.

Parmi les autres raisons avancées : la faisabilité du classement dans de bonnes conditions. « Nous nous sommes aperçus que le nouveau système, et la fin de la hiérarchisation des vœux par les candidats, avait mis nos formations en tension », explique ainsi Joëlle Perroton, responsable de la licence de sociologie à Bordeaux.

Alors qu’en 2017, 450 candidats en avaient fait leur vœu prioritaire, cette année, 2 750 candidatures non hiérarchisées ont été effectuées, pour 280 places : dans ces conditions, « il est impossible d’évaluer réellement la motivation de l’élève », de lire la lettre de motivation, etc. Alors même que l’équipe enseignante était divisée sur l’idée de sélectionner, elle a voté à la mi-mars contre le classement des candidatures, faute de pouvoir faire « une sélection intelligente et humaine ». Comprenez : une sélection qui ne repose pas seulement sur un traitement automatisé des notes des candidats.

D’autres départements estiment enfin inutile, laborieux et coûteux de classer les candidats dans la mesure où, passé le jeu des désistements des candidats ayant préféré d’autres formations, ils pensent avoir suffisamment de place pour accueillir tous les candidats confirmés. Une décision pragmatique, que certaines universités (Pau, Bordeaux Montaigne…) comptent appliquer dans toutes leurs filières qui ont peu de chances d’être in fine en tension.

Certaines équipes ont décidé de ne pas créer de commission d’examen des vœux

Selon les départements mobilisés et les rapports de force locaux, le refus de classer les candidats s’effectue de différentes manières. Certaines équipes ont décidé de ne pas créer les commissions qui doivent examiner les dossiers, ou d’en démissionner. D’autres commissions demandent à classer tous les candidats « premier ex aequo », même si la plate-forme ne le permet pas.

Dernière solution : elles proposent une sorte de « surbooking », en augmentant virtuellement leurs capacités d’accueil jusqu’au nombre de candidatures reçues. « Cela permettrait de contourner techniquement le problème, mais nous savons qu’il y a un risque de recevoir à la fin plus de candidats que ce que nous sommes en capacité d’accueillir », concède Françoise de Barros, responsable du département de sociologie de Paris-VIII, où il a pour l’instant été décidé de ne pas créer de commission d’examen des vœux.

Si comme à Paris-VIII, le dialogue est parfois cordial entre les responsables de formation récalcitrants et les présidences d’université responsables juridiquement du bon déroulement de la procédure, dans d’autres, la tension est parfois prégnante. « On a menacé certaines équipes enseignantes mobilisées de retirer leur formation de la plate-forme Parcoursup s’ils persistaient. Ou bien d’y affecter des candidats [seulement] au moment de la phase complémentaire, sous-entendu avec seulement les jeunes qui n’auraient pas été pris ailleurs… », commente une enseignante-chercheuse membre de l’Observatoire de la sélection universitaire, collectif d’universitaires mobilisés pour « rendre Parcoursup plus transparent ». Ailleurs, comme à Paris-Nanterre, des présidents d’université ont rappelé qu’ils avaient le pouvoir en dernier recours de « désigner » les commissions.

« Tous les candidats devront avoir une réponse le 22 mai. Si des départements refusent de participer, nous prendrons les dispositions pour nommer une commission ad hoc », prévient Lynne Franjié, vice-présidente de l’université de Lille chargée de la formation. Elle estime que seulement trois filières sur les 27 que compte l’université sont concernées, soit un mouvement « très minoritaire ». Elle concède toutefois des « conditions difficiles » de mise en place de la réforme, notamment « en termes de calendrier et de moyens pas à la hauteur ».

Du côté du ministère de l’enseignement supérieur, ce boycott du classement des dossiers, qui demeure marginal, n’est « pas, à ce stade, un sujet de préoccupation majeur ». Et d’affirmer que les universités sont libres d’accepter que certains départements ne classent pas les dossiers, du moment qu’elles s’engagent à accueillir tout le monde…