C’est une histoire dans l’histoire, mais elle ne manque pas de provoquer l’émoi à Montpellier. Dans le cadre de l’enquête judiciaire ouverte suite aux violences commises par une dizaine d’hommes aux visages dissimulés dans un amphithéâtre occupé de la faculté de droit de Montpellier, le 22 mars, une plainte pour subornation de témoin a été déposée par un étudiant mercredi 4 avril, ainsi que l’a révélé Mediapart. Le procureur de la République de Montpellier, Christophe Barret, a ouvert une enquête préliminaire. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) a également diligenté une enquête administrative.

Le plaignant, Christophe C., est un étudiant de 53 ans, inscrit à la faculté depuis de nombreuses années. Présent dans l’amphithéâtre lors des violences du 22 mars, il a adressé une lettre de huit pages au ministère de l’enseignement supérieur et au procureur, dans laquelle il témoigne des événements. Il décrit une « horde de barbares » distribuant « une pluie de coup de poings » et désigne nommément deux professeurs. L’un d’eux, Jean-Luc Coronel de Boissezon, a été mis en examen pour violences en récidive. Le courrier de Christophe C. est aussi l’occasion de dénoncer de façon « annexe » d’autres faits au sein de l’université, tels que le recours à du travail au noir, du favoritisme dans l’attribution du marché de nettoyage ou l’embauche de membres de la famille d’un professeur.

« Insultes, pressions et menaces »

C’est à la suite de cette missive que la police convoque Christophe C. pour l’entendre. Celui-ci reproche aujourd’hui au fonctionnaire qui l’a auditionné le 29 mars « une succession d’insultes, de pressions et de menaces », ainsi que le rapporte son avocat Gilles Gauer, dans le but, d’après lui, qu’il « ne réitère pas son témoignage ». Le Monde a pris connaissance d’une retranscription du contenu de cette audition.

Il permet de découvrir un échange surréaliste de près de trois heures entre un fonctionnaire qui sort littéralement de ses gonds et un témoin malmené, hébété et beaucoup moins catégorique quant aux violences dont il a pu être témoin.

Le policier soupçonne Christophe C. de vouloir « régler ses comptes » et l’enjoint de s’« occuper de [son] cul » tandis que l’étudiant se présente en « témoin capital » et assure avoir des « magouilles sur le cœur ». A propos des événements du 22 mars, s’il répète avoir vu deux professeurs entrer en courant et munis de gants dans l’amphithéâtre, et s’il a bien vu une étudiante être frappée, il n’est plus certain de pouvoir formellement identifier les deux enseignants comme étant les auteurs de ces violences. « Je suis sûr à 60 %, 70 %, dit-il notamment. Sur le coup, j’avais pas de doute. »

Un homme hésitant et un policier furibond

« Je mets pas un mec en prison sur la base de suspicions de tentatives », s’impatiente le policier. Puis, il s’énerve :

« Entends-moi bien quand je te parle, je cherche des infractions punies par des textes de loi. Rentrer dans un amphithéâtre, c’est pas puni.

Avec des gants…

Avec des gants, c’est pas puni, ils sont noir ou marron, c’est pas puni, non.

Ils étaient tout content, comme à la chasse, là.

Et alors ? La chasse, c’est interdit la chasse ? Etre content à la chasse, c’est interdit ?

La chasse aux étudiants, c’est pas légal.

Tu me fais encore l’amalgame, ça, ça me casse les couilles. (…) Ce qui m’intéresse, c’est que là, le mec, si j’identifie que c’est lui qui a tapé une gamine avec une batte de base-ball ou une palette, je lui mets cinq ans ferme, donc moi, je me trompe pas là-dessus. (…)

Je peux pas être précis formellement sur le deuxième qui frappe la fille, voilà.

Et ça, tu l’as écrit pourtant, que c’est Coronel. »

La suite de l’audition est à l’image de cet échange, qu’on croirait extrait des dialogues de Michel Audiard dans Flic ou voyou, entre un homme aux propos hésitants et un policier furibond, qui lui reproche ses revirements, de manière pour le moins musclée :

« Tu t’es laissé aller sur dix pages, tu m’as fait dix pages de merde où tu chies sur l’ensemble de la faculté française (…), et moi je t’écoute et je découvre au bout d’une heure que t’es pas sûr et tu l’écris et tu l’envoies au ministère (…) ; si moi je travaille comme toi tu bosses, y’a que des innocents en prison (…)

Oui, y a un petit doute.

 Y a un petit doute ? Et ça, tu l’as envoyé au ministère ? Mais c’est quoi ton doute ? Mais t’es creux dans ta tête ou quoi ? »

« Moi je vous pète les deux genoux »

Oublieux de son code de déontologie et des règles de courtoisie et d’impartialité qui s’y rattachent, le policier reproche à Christophe C. ses « délires paranoïaques ». « Vous vous prenez pour qui monsieur ? » lui demande-t-il plusieurs fois, alors que Christophe C. pense avoir été pris pour un agent du renseignement et avoir pu impressionner des étudiants du fait de ses 140 kilos : « Moi je vous pète les deux genoux avant que vous leviez le bras droit », lui rétorque le fonctionnaire.

Tout en mettant le témoin à rude épreuve, le policier se défend de vouloir dédouaner quiconque : « Je suis flic, je suis payé 39 heures, j’en fais 70 par semaine. Je fais ça parce que je crois à la vérité, je crois en ma justice (…) Je veux que chaque individu que tu cites nommément, on définisse exactement leur rôle. C’est tout ce que je veux. Coronel, je sais pas qui c’est, j’en ai rien à branler, il prend vingt ans ferme, j’en ai rien à branler, je m’en tape les couilles sur la table. Par contre, s’il les prend, il les mérite. »

De remontrances en réprimandes, le policier finit par conclure l’audition de Christophe C.. Il lui relit son contenu, pour qu’il signe son procès-verbal. Le témoin est alors pris d’une ultime hésitation :

« Pourquoi vous m’avez foutu un doute ? », demande-t-il au policier, qui lui répond, à bout de nerfs :

« Parce que mon boulot, c’est la vérité ! Y a pas marqué que c’est pas lui, y a marqué que t’as un doute (…) Je m’en branle de ce mec (…) Prends une décision (…) Putain mais c’est pas possible, t’es creux (…).

— Vous énervez pas, y a doute, y a doute.

— Ben signe alors ! »

Indépendamment des suites disciplinaires ou pénales de cette enquête, le procureur de Montpellier souligne que Christophe C. n’était pas un « témoin capital » et que « les indices graves et concordants qui ont conduit aux deux mises en examen demeurent ». L’ancien doyen de la faculté, Philippe Pétel, l’a été pour « complicité d’intrusion » et le professeur d’histoire du droit, Jean-Luc Coronel de Boissezon, pour « violences en récidive ».