« Françoise Hardy fait partie du top 10 des femmes qui m’ont le plus marquée », explique Clara Luciani. / MANUEL OBADIA WILLS

Clin d’œil du hasard, nous rencontrons Clara Luciani, le 8 mars, Journée internationale des femmes. Quelques semaines avant, la grande brune a dégoupillé La Grenade, chanson pugnace (« Hé toi/Qu’est-ce que tu regardes ?/ T’as jamais vu une femme qui se bat ? »), dansant avec une rage entraînante (« Prends garde/Sous mon sein la grenade ») sur les cendres du scandale Weinstein. « J’ai écrit la chanson avant que l’affaire n’éclate », précise la jeune femme, dont l’enthousiasmant premier album, Sainte-Victoire, vient de sortir. « J’en ai ressenti le besoin après une tournée que je faisais en solo, accompagnée d’une ingénieure du son. Quand nous arrivions dans une salle, les mecs nous regardaient souvent comme deux ovnis, en faisant des blagues pourries du style : “On vous montre comment brancher une prise ?” Ajouté à d’autres remarques comme “Mais tu écris tes chansons ?” ou “T’es drôle pour une fille”, ça a fini par me peser. »

Clara Luciani - La grenade
Durée : 03:15

Ne pas se fier, donc, à la classe fragile de sa taille mannequin, à un port de tête et une longue coupe à frange évoquant irrésistiblement la grâce sixties d’une Françoise Hardy. Si des journalistes japonais ont récemment vu en elle le comble de l’élégance parisienne, cette Marseillaise d’ascendances corse et sicilienne, originaire de Septèmes-les-Vallons (la ville du premier club de Zinédine Zidane), peut avoir le sang chaud, autant qu’un humour malicieux. Même si la mélancolie de l’interprète de Comment te dire adieu l’a beaucoup inspirée.

« J’ai été très vexée quand, à cause de ma voix grave, la prof de ma chorale m’a fait passer dans le groupe des garçons. » Clara Luciani

« Françoise Hardy fait partie du top 10 des femmes qui m’ont le plus marquée », confirme Luciani. L’autorité électrique de PJ Harvey ou de Patti Smith a aussi été décisive, mais c’est une autre icône du spleen, Nico, qui trône au sommet de son panthéon. « Sa voix d’outre-tombe et ses mots sombres m’ont fascinée. Son timbre grave m’a aidée à me décomplexer », explique la chanteuse de 24 ans, à propos de l’ex-égérie du Velvet Underground, morte en 1988, à 49 ans. Perceptible dans la profondeur altière de certaines chansons, l’influence de la ténébreuse allemande n’empêche pas Sainte-Victoire – réalisé par des pointures de la pop groovy comme Benjamin Lebeau (des Shoes), Sage ou Yuksek – de doper le vague à l’âme de rythmes emballants (On ne meurt pas d’amour, Comme toi) et de refrains enjôleurs (Drôle d’époque, Monstre d’amour).

On l’imagine mal aujourd’hui, mais la demoiselle a longtemps souffert de son physique. « Enfant, je ne correspondais pas aux normes, beaucoup trop grande, trop garçonne, rigole-t-elle. J’ai été très vexée quand, à cause de ma voix grave, la prof de ma chorale m’a fait passer dans le groupe des garçons. » Ces premières fragilités fourniront, estime-t-elle, le terreau d’une précoce vocation artistique, encouragée par un père bassiste, qui lui transmet, en particulier, sa passion pour Paul McCartney et lui fait découvrir William Sheller. Clara a beau écrire des ritournelles depuis l’âge de 11 ans, l’environnement marseillais ne semble guère propice à son épanouissement de chanteuse. Jusqu’à une improbable rencontre…

Les débuts avec La Femme, « groupe fou »

« Avec un copain, nous sommes allés voir, à Cannes, un concert de La Femme, se souvient celle qui était alors étudiante en histoire de l’art à Aix-en-Provence. Après le concert, je me suis mise à danser avec un garçon qui twistait bizarrement, sans reconnaître Marlon, un des chanteurs du groupe. Nous avons fini par parler musique. Je lui ai chanté un bout de chanson, il m’a proposé de passer les voir quand ils enregistreraient à Paris. »

De retour à Aix, Clara plaque ses études et monte à la capitale avec sa guitare rejoindre ces pionniers du renouveau pop francophone. A 19 ans, tout s’enchaîne très vite. Entre deux petits boulots, elle enregistre et tourne avec La Femme – « le groupe le plus fou de France » –, puis accumule les collaborations avec les bonnes fées. Le projet musical Nouvelle Vague, des chanteurs admirés comme Raphael, Benjamin Biolay, Alex Beaupain et même le rappeur Nekfeu, font appel à elle ou la conseillent, séduits par sa voix grave et une écriture qui, après une expérience anglophone en duo sous le nom d’Hologram, libère enfin ses émotions dans la langue de Barbara. Ne pas pour autant la qualifier de muse : « Je n’aime pas ce côté créature passive. J’ai aussi dû être une guerrière pour en arriver là. »

« Sainte-Victoire », de Clara Luciani (Initial/Universal).

En concert le 13 avril à Argenteuil ; le 20, au festival Mythos, à Rennes ; le 28 au Printemps de Bourges ; le 19 mai, au festival Art Rock, à Saint-Brieuc ; le 17 juin, au festival La Magnifique Society, à Reims ; le 24 juin, au festival Solidays, à Paris ; le 7 juillet, au festival Days Off, à Paris ; le 13 aux Francofolies de La Rochelle. www.difymusic.com/clara-luciani