Cinq « monuments », mais combien de parcours ? Si les classiques sont censées être caractérisées par un tracé plus ou moins fixe, Paris-Roubaix semble être la seule sûre de son fait, avec son départ de Compiègne et ses 100 derniers kilomètres de la trouée d’Arenberg au vélodrome de Roubaix. Tour d’horizon des grandes courses d’un jour du calendrier cycliste.

Paris-Roubaix : gravé dans le pavé

Parcours de Paris-Roubaix 2018 / ASO

La centaine de kilomètres jusqu’au vélodrome est devenue immuable, ou presque ,depuis plusieurs dizaines d’années. L’organisateur peut se le permettre : on s’y ennuie rarement et le décor plaît aux télévisions. « On part devant un palais (de Compiègne, depuis 1977, ndlr) et on a la plus belle arrivée du monde (vélodrome de Roubaix, depuis 1943) : ce sont des choses qu’on a envie de préserver », résume Thierry Gouvenou, directeur de la course.

Christian Prudhomme, directeur du cyclisme chez Amaury Sport Organisation (ASO), est tiraillé entre son obsession de ne pas laisser ses épreuves ronronner et le souci de conserver « l’âme de la course », qui fait la force de Paris-Roubaix - 117è édition dimanche 08 avril. « Aujourd’hui, on n’a pas besoin de changer. On a tous les ans une course dense, lancée de très loin, observe Christian Prudhomme, sa grande carcasse recroquevillée à l’arrière d’une voiture sur les pavés qui tapent. Je suis quand même convaincu qu’il faut bouger par petites touches, car on ne veut pas sanctuariser. »

Les petites touches se font donc dans le Cambraisis, avant la trouée d’Arenberg qui fête ses 50 ans. Des secteurs intègrent le parcours, d’autres en sortent, pour faire tourner et ne pas sanctuariser totalement le parcours. Une évolution majeure pourrait toutefois avoir lieu dans cinq ans ou plus : ASO lorgne un secteur pavé de 3 000 mètres environ, après le Carrefour de l’Arbre, en remplacement de celui de Hem.  « Ce serait un changement majeur, à six kilomètres de l’arrivée, quelque chose qui ferait évoluer la course », dit Gouvenou.

Les coureurs de Lotto-Jumbo à l’entraînement sur le pavé d’Haveluy, le 05 avril. / Michel Spingler / AP

Tour des Flandres : priorité au tiroir-caisse

Disputé une semaine avant Paris-Roubaix, l’autre monument du Nord, le Tour des Flandres, n’en est pas à chipoter sur un virage à droite ou le contournement d’un village. Lui change régulièrement, guidé par des intérêts plus sonnants et trébuchants. Lorsqu’Anvers a mis, dit-on, deux fois plus d’argent que Bruges pour accueillir le départ de l’épreuve à partir de 2017, l’organisateur Wouter Vandenhaute a volontiers réécrit toute la première partie du parcours, en route vers les Ardennes flamandes.

2018 Tour of Flanders race highlights
Durée : 04:20
Images : Meilleurs moments du Tour des Flandres 2018

Les polémiques politiciennes entre les deux grandes villes des Flandres coulent sur lui : en 2012, il n’avait pas hésité à enlever du parcours le mur de Grammont et sa chapelle iconique, juge de paix de la course, pour instaurer un circuit final où l’on paye cher sa place pour voir passer, trois fois, l’événement sportif de l’année en Flandres.

Wouter Vandenhaute, qui aime bousculer un milieu qu’il juge trop conservateur, se défendait la semaine dernière dans L’Equipe : « Je n’ai rien dénaturé en enlevant le Grammont, au contraire, on a pu expérimenter un nouveau concept du cyclisme qui n’existait pas alors, en concentrant le final sur deux monts, le Quaremont et le Paterberg, et une ville, Audenarde, et en créant un esprit nouveau de fête à l’instar d’un festival de rock. »

Et cette saillie provocatrice, comme pour montrer qu’il ne respecte rien : « Le Mur de Grammont était surtout mythique parce qu’il était à 18 kilomètres de l’arrivée. » N’empêche : son geste avait fait hurler dans les estaminets et bien sûr, après cinq ans d’absence, le « Kapelmuur » a fait son retour sur le tracé en 2017, quoiqu’à une position qui le rend moins décisif.

L’arrivée a changé aussi, de Meerbeke à Audenarde, mais là encore l’esthétique n’a pas été au cœur des préoccupations des organisateurs. La force du « Ronde van Vlaanderen » : quel que soit le parcours, la course déçoit rarement.

Liège-Bastogne-Liège : le casse-tête

Vision classique sur Liège-Bastogne-Liège : Alejandro Valverde gagne sur un boulevard sans charme. / AFP/ERIC FEFERBERG

ASO, copropriétaire de Liège-Bastogne-Liège, l’autre monument disputé en Belgique, aimerait en dire autant. « Ces dernières années, la course n’a pas été emballante », admet Christian Prudhomme. Le parcours qui offrait des courses débridées dans les années 1990 est devenu le théâtre d’un spectacle soporifique : ils sont plusieurs dizaines de coureurs à se présenter groupés au pied de la côte d’Ans, où l’arrivée sourit au meilleur des puncheurs (généralement Alejandro Valverde).

La difficulté de cette bosse finale empêche-t-elle les coureurs de s’exprimer plus tôt ? « Il ’y a pas que l’arrivée, il y a la manière de courir qui a changé, souligne Christian Prudhomme. Regardez lorsqu’on a ajouté la côte de la Roche aux Faucons (en 2008, à 20 kilomètres de l’arrivée, ndlr). La première année ce fut formidable, la deuxième année pas mal, la troisième année plus rien. Les coureurs s’adaptent ! ». Et, pour reprendre un poncif, « ce sont les coureurs qui font la course ».

La convention liant ASO à la ville d’Ans expire après l’édition 2018 (22 avril), et la presse belge annonce déjà que la future arrivée se fera à Liège même. Pour l’organisateur - qui ne confirme pas -, cette nouvelle arrivée pourrait être l’occasion d’offrir une seconde jeunesse à « La Doyenne » en redessinant le final. L’ancien pistard Jean-Michel Monin, directeur de la course, ne veut pas toucher au passage par Bastogne, à la trilogie Wanne-Stockeu-Haute-Levée (contournée cette année pour cause de travaux) ou à la côte de la Redoute, autant d’ingrédients incontournables de la course.

Pour le reste, notamment la cote de Saint-Nicolas, à 6 kilomètres de l’arrivée, « on ne s’interdit rien ». « Parfois, c’est un peu frustrant car on ne sait pas si on doit durcir le parcours ou l’alléger. C’est trop dur car les difficultés font peur à tout le monde ? Alors on allège, mais s’ils arrivent à 100 au sprint à Liège, c’est une catastrophe... »

Milan-SanRemo : des repères stables

S’il est un seul monument qui doit se jouer au sprint, c’est Milan-SanRemo, même si les organisateurs préfèrent lorsqu’un homme seul se joue de la meute des emballeurs, d’autant plus s’il s’appelle Vincenzo Nibali.

Plusieurs fois ces dernières années, RCS Sport, propriétaire de la course, a d’ailleurs tenté d’épuiser les jambes des sprinteurs en ajoutant des difficultés. Mais Mauro Vegni, son grand patron, estime désormais que le Poggio, ce monticule qui borde la Méditerranée et dont le sommet se trouve à 5,7 kilomètres de l’arrivée, suffit à trier le bon grain des puncheurs de l’ivraie des purs sprinteurs. « Nous sommes revenus au parcours originel. Pour nous, c’est ça le parcours. Et pour le moment, ça reste comme ça. » Jusqu’au prochain sprint massif ?

En retrouvant en 2015 l’arrivée de la Via Roma, artère bourgeoise sur laquelle la course a écrit ses plus belles pages (Merckx, De Vlaeminck, Zabel), Milan-SanRemo a retrouvé le troisième pan de sa Sainte-Trinité : Cipressa, Poggio, Via Roma. E basta.

Milan-San Remo 2018: Highlights
Durée : 05:11

Tour de Lombardie : sans domicile fixe

La plus dure des classiques, disputée en octobre, est aussi la plus instable, baladée d’un bout à l’autre de la Lombardie depuis que son arrivée a quitté Milan en 1961. Côme, Milan, Monza, Bergame et Lecco ont chacune eu cet honneur, mais l’identité de la course s’est noyée dans ces changements de parcours. Plus que l’arrivée, c’est l’ascension jusqu’à la Madonna del Ghisallo, en surplomb du lac de Côme, qui symbolise l’épreuve. Mais elle n’est plus aussi décisive qu’avant et il semble que chaque année, les organisateurs inventent un nouveau parcours.

Depuis 2014, les villes de Bergame et Côme se répartissent départ et arrivée. L’instabilité a lassé Mauro Vegni, le patron de RCS Sport : « Aujourd’hui, nous pensons qu’il est temps de trouver un parcours qui soit toujours le même. Personnellement, je pense que l’arrivée à Côme est la meilleure car il y a la possibilité de faire une course très dure et un final très spectaculaire. Ce pourrait être le parcours définitif », annonce-t-il.

L’an passé, la Gazzetta dello Sport, journal qui partage le même propriétaire que la course, a suggéré que la classique des feuilles mortes devienne une classique du printemps, afin de regrouper les cinq monuments. Mais c’est une autre histoire.

Les coureurs sur le parcours du Tour de Lombardie 2016. / LUK BENIES / AFP