La 4e édition du festival de performances Do Disturb a ouvert en fanfare et sous le soleil, vendredi 6 avril, devant le Palais de Tokyo, à Paris. Pas n’importe quelle fanfare, un Marching Band social et transatlantique créé par l’artiste Frédéric Nauczyciel et le vogueur Marquis Revlon, entre Baltimore et La Courneuve. Et qui fait joyeusement voler en éclats normes et clichés par son énergie festive, mêlant tous les âges, tous les corps, pompom girls and boys et des instruments inattendus (accordéon, violon) entre les cuivres.

Do Disturb est devenu une promesse de pépites internationales de la performance dénichées par la commissaire générale de l’événement, Vittoria Matarrese, mais il est préférable d’être en forme pour se plonger dans son grand chaos apparent. Les propositions s’y enchaînent ou se carambolent à un rythme endiablé, et le défi consiste à se perdre, tout en étant au bon endroit au bon moment.

Pour une entrée en douceur, une option : aller à l’Institut d’esthétique. Ce large espace prodigue soins et attentions sous la houlette d’Emile Degorce-Dumas et Vincent Voillat, qui ont invité de nombreux artistes mêlant comme eux questions d’esthétique corporelle et notions d’esthétique artistiques. Avec poésie ou un humour féroce.

Yoga et comédons

Au programme : un masque à la bave d’escargot, réputée excellente pour la peau, mais avec des escargots déposés à même le visage, une cabine de sauna qui enveloppe le corps de chaleur et de musique, avec un DJ set dédié, en live, un coiffeur psychédélique, une manucure engagée, où l’on discute politique et cuticule.

Des séances de méditation sont accessibles en continu, il suffit de s’installer sur l’un des matelas de yoga, de prendre un casque et de se laisser guider par la voix : « Respirez profondément, ressentez pleinement votre narcissisme et votre indifférence totale mais harmonieuse au monde qui vous entoure… »

Relaxation plus radicale encore : le public peut expérimenter une thérapie qui se développerait actuellement au Japon et en Corée, et qui consiste à faire le mort… en assistant à son propre enterrement. Un cercueil est à disposition, ainsi que des chaises pour les proches, chargés de dire tout le bien qu’ils pensaient du défunt.

On peut passer des heures dans cet Institut où la performance la plus étrange est certainement celle de la chanteuse lyrique et ventriloque Mathilde Fernandez. Installée sur une table de chirurgie esthétique, elle compose un hymne glaçant à la jeunesse éternelle. Ne pas rater non plus, la cabine Maxime Roussi, qui partage en flashs lumineux les visions colorées que lui procurent ses orgasmes, du vert sapin au rose fluo.

Corps à corps dans la glaise

Hors de cette bulle, il y a du sport – avec les invraisemblables catcheuses féministes du collectif FLOW, de Los Angeles, une salle de MMA, sport de combat où tous les coups sont permis, et où les femmes sont invitées à se défouler –, et de nombreux moments de grâce. Par exemple, en compagnie de Zadie Xa, jeune artiste d’origine coréenne née au Canada et qui vit à Londres. C’est son identité métissée qu’elle traduit par la danse, la musique et des costumes fantasmagoriques, mixant traditions asiatiques et glamour pop.

Moment de grâce aussi, mais dans les airs pour le duo de circassiennes Pauline Barboux et Jeanne Ragu, plutôt habituées à se suspendre en extérieur, dans des festivals de rue ou en pleine nature. Ou corps à corps, plus terre à terre, chez Florence Peak, où les performeuses, nues, rejouent dans six tonnes de glaise étalée au sol le scandale provoqué en 1913 par le Sacre du printemps de Stravinski.

Le corps de l’artiste afghane Kubra Khademi reste, lui, immobile : ses formes féminines sont exacerbées à la façon d’une ancestrale statuette de la fécondité, grâce à du sel remplissant ses habits, et se dissolvent lentement sous l’effet d’une douche.

Ce sont deux « coups de foudre artistiques » du festival, et de fait, il serait dommage de passer à côté. D’abord Jamila Johnson Small, la prochaine artiste en résidence au Palais de Tokyo. Cette plasticienne, danseuse, mannequin et musicienne venue de Londres, prend immédiatement possession de la salle 37 lorsqu’elle pénètre dans cet unique espace clos du Palais de Tokyo. Ses micromouvements saccadés, son corps androgyne, sa peau noire recouverte de plastique brillant ou dénudé, l’éclairage jaune stroboscopique, l’obscurité et la fumée, le mixage live : elle dynamite tous les codes, sociaux comme artistiques, envoûtement garanti.

Le travail du New-yorkais Jeremy Nedd, lui aussi inédit en France, se découvre en live et en vidéo. Sur scène, ses performeuses, aux gestes dédoublés, déconstruisent l’idée de sample et de plagiat dans la danse, notamment dans les chorégraphies de Beyoncé. Sur un mur, on le voit décliner son recensement des poses du rap, un langage corporel d’autant plus savoureux qu’il est ici décontextualisé, regardé pour lui-même.

Communion avec des pommes de terre

Un étage plus haut, plusieurs performeurs venus du Brésil se côtoient dans une sorte de théâtre de l’absurde : le Russo-Brésilien Fyodor Povlov, enseveli sous une montagne de pommes de terre, tente d’entrer en communion avec ce tubercule qui fait le lien entre ses deux pays d’origine. Une quête identitaire qui laisse les visiteurs médusés. A côté, ces derniers sont invités à « fusiller » avec du ciment frais Marcelo Cidade qui lit, nu, la liste des mesures du nouveau gouvernement néolibéral brésilien.

Autre pays, autre prisme social : la Sud-Africaine Gabrielle Goliath soulève le tabou des violences faites aux femmes dans son pays, et notamment les assassinats non élucidés (par laxisme). Des chanteuses lyriques, habillées de noir, se succèdent sur une estrade pour tenir une note unique une heure durant dans une longue et émotionnelle plainte chorale. Un texte permet au public de découvrir qui était la femme à qui est dédié cet hommage. Cette fois, il s’agit de Joan, une transexuelle tuée en 2015.

Impossible d’être exhaustif, d’autant qu’entre les projets qui se jouent ponctuellement chaque jour évoluent des « marathoniens », qui œuvrent par infiltrations et perturbent les déambulations des visiteurs d’interventions loufoques ou grinçantes.

Le point d’orgue du festival, dimanche soir, sera une pièce du Dance On Ensemble, une compagnie d’anciens danseurs professionnels de ballet venue de Berlin et pilotée par l’Américain Christopher Roman, qui fut directeur adjoint de la Forsythe Company. Ces corps qui ont dépassé la limite d’âge du ballet ont encore de l’émotion à partager.

Do Disturb, de midi à minuit jusqu’au dimanche 8 avril au Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris 16e.