Le plus grand train de fret de France, long de 850 mètres, en janvier 2012. / RAYMOND ROIG / AFP

Le mouvement de grève à la SNCF, qui a repris samedi 7 avril en soirée, n’a pas pour seul effet de désorganiser le transport de voyageurs. Dans le transport de marchandises, les conséquences pour les utilisateurs de fret sont moins visibles, mais se chiffrent rapidement à plusieurs milliers, voire millions d’euros de perte. A tel point que l’entreprise sidérurgique ArcelorMittal a annoncé, vendredi, qu’elle renonçait à recourir au rail durant la période de la grève.

Lors des premiers jours du mouvement, Fret SNCF, opérateur historique du transport de marchandise par le rail (60 % du marché) a connu les mêmes perturbations que dans le transport de voyageurs. Selon son porte-parole, seuls 15 % des trains prévus ont pu circuler les 3 et 4 avril, alors que 70 % des conducteurs de train avaient cessé le travail.

Les opérateurs privés sont tout aussi affectés. « Leurs conducteurs ne sont pas en grève, mais les aiguilleurs de la SNCF, oui, ce qui empêche toute régulation du trafic », explique Christian Rose, de l’association des utilisateurs du transport de fret (AUTF).

Doubler les coûts

Pour contourner les difficultés, beaucoup d’entreprises n’ont d’autre choix que de trouver des alternatives, dans le transport fluvial ou routier (88 % du transport de marchandises). Les producteurs de granulats, qui alimentent le secteur du bâtiment et des travaux publics, ont estimé vendredi que, si la grève durait jusqu’en juin, « près de deux millions de tonnes de granulats » ne pourraient être livrées sur les chantiers par le train, « soit potentiellement 150 000 trajets par camion en plus sur les routes ».

Mais les voies fluviales, bien que plus économiques, ne permettent pas de desservir tout le territoire, et les camions ne sont pas une alternative envisageable pour toutes les filières. C’est le cas dans la sidérurgie, qui dépend pour partie du fret ferroviaire en raison d’une « production qui nécessite des convois lourds et volumineux », rappelle Jacques Lauvergne, président du groupement des entreprises sidérurgiques et métallurgiques ; ou dans l’industrie chimique, qui utilise les trains pour approvisionner les usines en matières premières et transporter des produits dangereux.

« Le ferroviaire permet de massifier les flux : un train, c’est l’équivalent d’une cinquantaine de camions. Il est impossible de tout reporter sur le transport routier », assure Franck Tuffereau, de l’association française du rail. Sans compter que, « dans ces situations d’urgence où les camions sont rares, recourir au transport routier revient à doubler les coûts pour les clients », précise Christian Rose.

Reports impossibles

Pour certains gros clients traditionnels du fret ferroviaire français, comme la filière céréalière, les conséquences pourraient être lourdes. « Les producteurs vont en pâtir, avec des coûts de stockage qui vont augmenter pour les céréales non transportées et des pénalités à payer si les annulations de train empêchent de livrer les commandes et d’honorer des contrats », explique Philippe Pinta, président de l’association générale des producteurs de blé.

Jean-François Loiseau, président d’Axéréal, coopérative agricole réunissant 13 000 agriculteurs et chargeant jusqu’à huit trains par jour, a déjà subi des pertes. Vingt-deux de ses trains n’ont pu circuler sur la première séquence de la grève, entre lundi 2 avril au soir et jeudi 5 avril midi.

« Un train, c’est 1 200 tonnes de marchandises. Aujourd’hui, nous sommes sur un coût de remplacement de sept à dix euros par tonne, soit environ 10 000 euros par train qui ne circule pas », estime-t-il.

Près de 60 % de son transport de marchandises passe par le rail, il lui est impossible de remplacer tous ses trains. Et le principe de la grève « perlée » ne laisse aucun répit.

Pour faire circuler des trains de marchandises, les clients doivent, des mois à l’avance, réserver des « sillons », c’est-à-dire la capacité d’infrastructure nécessaire pour faire circuler un train sur un trajet et à un horaire donnés.

« La remise en route du fret prend davantage de temps que le transport de voyageurs », explique Christian Rose, qui estime que la grève affecte les entreprises sur au moins quatre jours, le temps de savoir où sont les trains et de les ramener au bon endroit pour respecter la programmation.

« C’est une organisation énorme, on ne peut pas reporter nos transports sur les trois jours sans grève. Tout ce qui n’est pas transporté, c’est de la perte sèche », déplore Laurent Vittoz, président de la coopérative Val France. En vingt ans, il affirme n’avoir jamais vu de grève au potentiel aussi « déstructurant ». Pour son activité, en s’éternisant, celle-ci engendrerait tellement de pertes qu’« elle ne serait pas seulement pénalisante, elle serait catastrophique ».

Perte de clients

Le constat est le même dans les ports, d’où partent de nombreuses exportations. Et là encore, la filière céréalière, qui exporte la moitié de sa production, est concernée au premier chef.

Joel Ratel, directeur général de Nord Céréales, entreprise d’import-export de céréales, estime que son entreprise a perdu plus de 1,2 million d’euros sur les deux premiers jours de grève, avec l’annulation de cinq trains de marchandises. « Si on ne peut pas charger les bateaux, certains clients vont se tourner durablement vers d’autres marchés pour s’approvisionner, c’est de la perte de crédibilité pour nous », s’inquiète-t-il.

Le fret ferroviaire représente aujourd’hui 20 % de ses livraisons, contre 0 % il y a quatre ans. « Le train est plus écologique, on essaye vraiment de développer le fret ferroviaire… Et ça nous pénalise ! », s’agace-t-il.

« Si cette grève dure, on pourrait atteindre 500 millions à un milliard de pertes pour toute la filière industrielle », estime Christian Rose, de l’AUTF. Pour l’heure, le gouvernement et les syndicats de cheminots n’ont toujours pas trouvé d’accord, et la SNCF prévoit une mobilisation renforcée pour le deuxième acte de la grève, toujours prévue pour durer trois mois.