Il y a encore une demi-douzaine d’années, le quartier de Cais do Sobré, situé autour de la gare du même nom, posée en bord de Tage, au pied du Bairro alto, avait piètre réputation. A deux pas du désormais très couru Mercado da Ribeira, le marché et « food hall » géant sponsorisé par le magazine Time Out, la chaussée peinte en rose de la rue Nova do Carvalho Santo est aujourd’hui l’un des pôles d’attraction de ce secteur, devenu l’un des plus animés de Lisbonne.

Si une boîte de strip-tease reste en activité, les autres « bars à filles » de la rue se sont transformés en clubs et salles de concerts accueillant les meilleurs DJ et groupes internationaux. Du 5 au 7 avril, c’est dans cette rue et son proche périmètre que se déroulaient les 72 concerts et la cinquantaine de conférences de la deuxième édition du MIL – ou Lisbon International Music Network –, un « showcase festival » voué à la découverte des scènes et des marchés lusophones.

Depuis les années 2000, ce genre d’événement présentant de nouveaux artistes aux professionnels du spectacle et du disque s’est multiplié en Europe. Avec ces quelque 600 pros accrédités, le MIL est loin d’atteindre les quelque 5 000 participants fréquentant chacun des quatre principaux festivals du genre : Eurosonic, à Groningue (Pays-Bas), Reeperbahn, à Hambourg (Allemagne), The Great Escape, à Brighton (Angleterre), et le MaMa, organisé à Paris.

« Travailler sur des marchés à défricher »

« Le but n’est pas de concurrencer ces événements, mais de permettre aux gens de travailler sur des marchés à défricher », explique Fernando Ladeiro-Marques, directeur du MaMa, à Paris, et cofondateur du MIL. Depuis vingt-cinq ans, ce Français d’origine portugaise milite, au sein de sa structure Gato Loco Productions, pour la création de réseaux internationaux s’affranchissant du monopole anglo-saxon dans le monde de la pop.

Après avoir participé au lancement de salons et de « showcase festivals », tels le BAM, à Barcelone, le Rock Pop Bratislava, en Slovaquie, le Green Energy, à Dublin, en Irlande, le Sim, à Sao Paulo, au Brésil, ou le Dong Dong, à Pékin, Fernando Ladeiro-Marques s’est associé avec un partenaire lisboète, Pedro Azevedo, directeur de la salle Musicbox – un club étonnant, situé à l’intérieur d’une arche d’un pont enjambant la ruo Nova do Carvalho Santo – et de la maison de production, CTL (Cultural Trend Lisbon), pour créer le MIL.

Le Portugal et sa capitale sont devenus un pôle majeur d’attraction touristique et culturelle

Au-delà des motivations affectives, le Franco-Portugais justifie ce choix par plusieurs constats. Si, avec ses 11 millions d’habitants, le marché portugais est étroit et peu structuré en terme d’industrie musicale, le pays et sa capitale sont devenus un pôle majeur d’attraction touristique et culturelle. Une effervescence, une douceur de vivre (et des avantages fiscaux) pouvant expliquer l’installation à Lisbonne, d’artistes tels Madonna, Harrison Ford, Inès de la Fressange, Philippe Starck, Eric Cantona et Rachida Brakni ou Florent Pagny…

Longtemps mal connue, la scène musicale portugaise semble se professionnaliser et se régénérer, d’autant qu’elle est irriguée par quantité d’artistes lusophones venus du Brésil ou d’anciennes colonies africaines (Mozambique, Angola, Cap-Vert, Guinée-Bissau) pour qui le Portugal demeure la porte d’accès naturelle à l’Europe.

La puissance sensuelle du groupe Boogarins

Si la programmation du MIL convie des artistes européens et leurs producteurs, dans le but de les faire découvrir à un public et des professionnels portugais (des Français comme les groupes Ko Ko Mo et Joon Moon ou la chanteuse Corine, ont d’ailleurs fait bel effet), elle cherche naturellement à amplifier les échanges avec le Brésil. Dans l’espoir de mieux comprendre le plus vaste des marchés lusophones et, bien sûr, de révéler de nouvelles têtes de son immense vivier musical. Originaire de Goiana, dans l’état du Pernambouc, au nord-est du Brésil, le groupe Boogarins commence, par exemple, à se faire un nom au Portugal. Dans un Musicbox plein à craquer, son rock psychédélique, héritier des pionniers tropicalistes d’Os Mutantes, possède suffisamment de puissance sensuelle pour espérer s’exporter plus au nord de l’Europe.

Boogarins - Erre (Official Video)
Durée : 03:49

Si leur apport est une vieille tradition, beaucoup de musiciens de l’Afrique lusophone ont longtemps joué, au Portugal, pour un public communautaire. « L’avènement des musiques urbaines a bouleversé la donne », analyse Fernando Ladeiro-Marques. « Les cultures électro et hip-hop ont accéléré les fusions de styles et le mélange du public ». A la suite de précurseurs comme Buraka Som Sistema, une nouvelle génération télescope les cultures et accroît son potentiel international. A l’instar de l’Angolais Diron Animal, originaire du ghetto de Cazenga, dans la banlieue de Luanda, qui, après un début de carrière dans son pays (le groupe Throes + The Shine), a débarqué sur les rives du Tage afin d’ouvrir de nouvelles perspectives à ses mélanges tourbillonnants de kuduro –ce hip-hop angolais très électro –, de funk, de rock et de house music. Ambianceur infatigable, paré de costumes scintillants, il a mis le feu au B’Leza, la plus grande salle du MIL, avec les titres sudatoires de son premier album solo, Alone (Soundway Records).

Diron Animal - Kema (Official Video)
Durée : 04:12

Métissages et découvertes

De manière générale, les métissages ont enrichi nombre des découvertes programmées dans les clubs de Cais do Sobré. Parmi elles, les groupes d’une importante délégation espagnole – la cumbia rock hypnotique des Candeloros, l’afro-pop, sous influence Vampire Weekend, du groupe masqué Zulu Zulu –, décidée à secouer les rapports traditionnellement frileux avec le voisin portugais.

ZULU ZULU "Bamboo Position" (LIVE)
Durée : 03:52

Marqué lui aussi par l’afro-beat, mais plus encore par le jazz west-coast, une pop spatiale, les harmonies chorales et symphonies de poche chères à Sufjan Stevens, le Lisboète Bruno Pernadas, aux chansons resplendissantes, accompagnées d’un chatoyant orchestre de huit musiciens, aura été une autre preuve de la pertinence du MIL.

Bruno Pernadas - Anywhere in Spacetime
Durée : 06:51

Sur le Web : millisboa.com/mil