Monty Rakusen/Cultura / Photononstop / Monty Rakusen/Cultura / Photononstop

Tel un pilote dans son cockpit, le dirigeant et ses équipes ont désormais une batterie d’outils numériques à portée de main pour tracer la route de l’entreprise et rester sur la bonne voie. Mais manœuvrent-ils mieux ainsi ? Les produits et services qu’ils mettent sur le marché sont-ils alors mieux conçus, plus adaptés aux désirs de leurs clients, mais aussi, plus globalement, à la société ? Chaque jour apporte son lot d’histoires aussi fascinantes qu’effrayantes. L’une des dernières en date étant celle de la voiture autonome Tesla percutant une glissière de sécurité en béton, causant la mort de son conducteur.

Pas étonnant dès lors que les algorithmes fassent peur. Tout comme la collecte de données massives (big data) nécessaire pour les alimenter, par le biais de multiples dispositifs : systèmes de géolocalisation, applications « santé » des smartphones, analyses des questions posées à des moteurs de recherche, du contenu des mails, des contributions « aimées » ou « partagées » sur les réseaux sociaux. Autant d’informations qui permettent d’affiner les profils de tout citoyen.

Face noire

Le scandale suscité par l’exploitation des données personnelles de 87 millions de comptes Facebook par la société Cambridge Analytica, qui aurait permis, entre autres, de favoriser l’élection de Donald Trump, est désormais bien connu. Il a renforcé la défiance envers ce type d’application, dans la sphère politique mais aussi économique. Car la désinformation peut nuire au citoyen, mais aussi au consommateur, et être une arme redoutable si un concurrent malveillant s’en empare.

Certes. Comme toute technologie, les applications numériques sont capables du pire comme du meilleur. La conférence « Pour que numérique rime avec humanisme en entreprise, les conditions du succès »,organisée le 10 avril à l’auditorium du Monde, à Paris, par le think-tank Culture numérique, en partenariat avec Le Monde, a pour objectif de poser les conditions pour que, en entreprise, le meilleur l’emporte. Sur le plan humain, social, sociétal et environnemental. Et pour que l’entreprise se comporte de façon responsable dans son propre intérêt.

« Constituer un corps d’experts publics, capable de procéder à des audits d’algorithmes »

C’est aussi plus largement dans l’intérêt de la société, estime Thierry Jadot, président de Culture numérique et de l’agence de communication Dentsu Aegis Network : « L’entreprise doit permettre aux individus de garder leur libre arbitre. C’est le rôle de l’éducation d’apprendre à séparer le bon grain de l’ivraie en matière d’information. Mais l’entreprise doit aussi aider ses collaborateurs à être autonomes. Ne serait-ce que parce que toute société peut être victime de “fake news”. » Ses préconisations rejoignent celles mentionnées par le mathématicien et député (LRM) Cédric Villani dans son rapport « AI for Humanity ». Telles « la constitution d’un corps d’experts publics assermentés, en mesure de procéder à des audits d’algorithmes, des bases de données et de procéder à des tests par tout moyen requis » ou la sensibilisation des chercheurs, ingénieurs, entrepreneurs aux enjeux éthiques liés au développement des technologies numériques.

D’autant que la responsabilité sociale, sociétale et environnementale des entreprises prend de l’ampleur. Le rapport cosigné par Jean-Dominique Senard, président du groupe Michelin, et Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et présidente de Vigeo-Eiris, remis le 9 mars au gouvernement, souligne la nécessité d’intégrer ces dimensions à l’objet de l’entreprise qui ne doit plus se limiter au seul intérêt de l’actionnaire. Dans un communiqué publié le 27 février, les associations représentant les entreprises que sont l’AFEP et le Medef « proposent une révision du code affirmant explicitement qu’au cœur des missions du conseil d’administration figurent la prise en compte du long terme et des conséquences sociales, sociétales et environnementales de l’activité de l’entreprise ». Et cette prise de position est loin d’être franco-française. Dans un article convaincant, coécrit par un associé et un consultant, basés à New York, du Boston Consulting Group, et par un professeur en éthique des affaires de l’université de Tübingen (Allemagne), « l’humanisation des entreprises » est décrite comme une nécessité.

Or le numérique, dont on a dénoncé la face noire, n’est pas pour rien dans ces évolutions humanistes. En mettant quantité d’informations à la disposition de tous, et donc en obligeant les dirigeants à partager le pouvoir de savoir. En facilitant les collaborations, en permettant à chacun d’être plus créatif. A condition que ces technologies soient utilisées à bon escient, en toute transparence.

Ce supplément a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le think tank Culture numérique.