Vue d’artiste du satellite TESS qui, après son lancement prévu mi-avril, devrait découvrir des milliers de planètes extra-solaires. / MIT

Si tout va bien, le 16 avril, la fusée Falcon-9 de la société SpaceX lancera pour la première fois de sa jeune histoire une mission astronomique. Commandé par la NASA, le satellite TESS (Transiting Exoplanet Survey Satellite) est équipé de quatre caméras qui, pendant un minimum de deux ans, observeront quelque 200 000 petites étoiles proches. L’objectif : détecter de minuscules baisses de luminosité de ces astres, dues au passage – appelé transit dans le jargon astronomique – d’une planète devant leur disque. Au cours de sa mission, TESS devrait ainsi découvrir des milliers et des milliers de ces planètes extrasolaires, celles qui tournent autour d’autres étoiles que notre Soleil.

Depuis la détection de la première d’entre elles en 1995, une nouvelle discipline, l’exoplanétologie, a éclos dans le champ de l’astronomie et, comme le résume Sébastien Charnoz, astrophysicien à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP), elle connaît « une grosse dynamique ». Presque un euphémisme. En deux décennies, les instruments au sol se sont multipliés, notamment ceux qui tentent de débusquer les exoplanètes par la technique dite de la vitesse radiale. Elle part du principe que, si une étoile est dotée d’un compagnon, elle tourne autour du centre de gravité du couple qu’elle constitue avec lui. L’étoile passe donc son temps à s’éloigner puis à se rapprocher de nous : la méthode de la vitesse radiale consiste à détecter ces mouvements de va-et-vient, infimes vus de chez nous.

L’autre grande méthode de détection, celle des transits, qu’exploitera TESS, est plus récente et a connu un développement rapide grâce à deux missions spatiales. Tout d’abord avec le pionnier européen – à forte coloration française – Corot, lancé en 2006. Celui-ci n’a toutefois repéré que quelques poignées de planètes extrasolaires, et c’est surtout grâce au télescope Kepler de la NASA, en orbite depuis 2009, que la méthode des transits s’est imposée comme la plus grande pourvoyeuse d’exoplanètes. Scrutant en permanence les étoiles d’une toute ­petite région du ciel, cet observatoire spatial a fourni aux astronomes plusieurs milliers de candidats. « Kepler a fait entrer la détection des exoplanètes dans l’ère industrielle », souligne ­Sébastien Charnoz.

« Mort » de Kepler

L’engin est cependant à l’agonie. Il a tout d’abord connu une défaillance de son système de pointage en 2013 qui l’a obligé à travailler depuis en mode dégradé. Surtout, le satellite, dont la mission ne devait durer à l’origine que trois ans et demi, arrive au bout de ses réserves de carburant. La NASA a annoncé mi-mars qu’elle s’attendait à la « mort » de Kepler d’ici quelques mois.

Cependant, la relève spatiale est assurée. Trois mousquetaires des exoplanètes vont prendre le relais au cours des deux prochaines ­années. TESS, tout d’abord, qui, contrairement à Kepler, balaiera une vaste part (85 %) de la voûte céleste. En 2019 suivra Cheops (CHaracterising ExOPlanets Satellite), mission de la Suisse et de l’Agence spatiale européenne (ESA). A la différence de ses prédécesseurs, « Cheops n’est pas un satellite de détection mais un satellite de caractérisation, insiste Sébastien Charnoz. Il servira à étudier avec beaucoup plus de précision des ­exoplanètes déjà connues ». Parmi les objectifs affichés, on trouve l’idée de réduire le degré ­d’incertitude sur la taille des planètes et aussi celle de déterminer si elles possèdent une ­atmosphère significative. Il ne sera évidemment pas interdit à Cheops de découvrir des exoplanètes qui, en raison de leur modeste diamètre ou de leur éloignement de leur étoile, auront ­jusqu’ici échappé aux observations.

Le troisième mousquetaire est, de très loin, le plus gros. Un mammouth, voilà comment on peut définir le télescope spatial James-Webb (JWST, une mission de la NASA, de l’ESA et de l’Agence spatiale canadienne), successeur ­annoncé du célèbre Hubble. Mammouth en raison des dimensions de son miroir collecteur de lumière (6,5 mètres de diamètre), de sa masse au décollage (6,5 tonnes) mais aussi de son coût qui n’a cessé d’enfler au fil des années pour approcher aujourd’hui les 9 milliards de dollars. Le JWST devrait flotter dans l’espace depuis des ­années mais il a connu une incroyable succession de reports, dont le dernier date du mois de mars. Actuellement en phase finale d’assemblage et de tests, il devrait décoller de Kourou, en Guyane, à bord d’une Ariane-5, en mai 2020.

« Une approche multi-instrumentale »

Comme le rappelle Pierre-Olivier Lagage, ­astrophysicien au CEA et coresponsable de l’instrument MIRI, une des caméras du JWST, ce dernier « n’est pas exclusivement dédié aux exoplanètes. Ce n’est qu’un des quatre grands sujets auxquels ce télescope, qui travaillera dans l’infrarouge, sera consacré », avec la recherche des premières étoiles et galaxies apparues après le Big Bang, l’étude de la formation des galaxies et celle de la naissance des étoiles. D’ailleurs, quand le projet d’un successeur de Hubble a été lancé, la première planète extrasolaire n’avait même pas été découverte…

Mais, ajoute le chercheur, « tout au long du cheminement, on a fait des adaptations pour observer les exoplanètes ». Le JWST aura notamment pour tâche, toujours avec la méthode des transits, de collecter des ­informations sur les molécules dont sont composées les atmosphères de ces planètes.

Ceux qui découvrent ce trio se posent en général deux questions : « Pourquoi faut-il trois missions différentes ? » et « Pourquoi faut-il aller dans l’espace pour cela ? » A la première, l’astrophysicien belge Michaël Gillon (université de Liège), qui est partie prenante de Cheops, apporte une réponse en forme de scénario soulignant la complémentarité des trois observatoires : « TESS trouve une candidate intéressante. Cheops prend le temps de la réobserver pour affiner les éphémérides du transit afin que, dans un troisième temps, on planifie une session d’observation de l’atmosphère par le JWST. Cela pourra être complété par des mesures faites avec des instruments au sol, comme le spectrographe Espresso, qui équipe ­depuis peu le Very Large Telescope au Chili. L’idée est d’avoir une approche multi-instrumentale. »

Intervention humaine en fin de parcours

Et pourquoi aller dans l’espace ? « La méthode des transits nécessite une photométrie de haute précision, répond Sébastien Charnoz. Pour détecter une planète de type Jupiter, il faut pouvoir mesurer une variation de brillance de l’étoile d’un millième, ce que peut faire une très bonne caméra au sol. Mais pour une Terre, c’est une variation d’un cent millième que l’on doit pouvoir détecter ! Or, les fluctuations de l’atmosphère terrestre empêchent que l’on atteigne cette précision au sol. »

Préparation du télescope spatial James-Webb qui doit succéder en mai 2020 au télescope spatial Hubble, à Houston (Floride), en avril 2016. / CHRIS GUNN / NASA

Il existe une seconde contrainte justifiant l’option spatiale : il faut cumuler des temps d’observation très longs. Pour ne pas rater les transits, on doit en effet regarder les étoiles des heures durant et revenir les scruter fréquemment. TESS va ainsi découper le ciel en 26 bandes et consacrera vingt-sept jours à chacune. Comme ces bandes se recouvrent en partie, certaines portions du firmament cumuleront des périodes d’observation allant jusqu’à trois cent cinquante et un jours. Une telle stratégie s’avère peu adaptée aux télescopes au sol – surtout si l’on se remémore qu’il fait souvent jour sur Terre… « Mobiliser tout un observatoire pendant des semaines voire pendant des mois entiers aurait un coût phénoménal », remarque Sébastien Charnoz.

Il y a cependant un revers de la médaille à ­engranger tant de mesures sur des centaines de milliers d’étoiles : comment traiter cette montagne de données ? « On aura des images sur des mois, décrit le chercheur de l’IPGP. Il faudra ­extraire la courbe de lumière de chaque étoile et c’est un signal très compliqué, bruité. Après, parmi ces courbes, il faudra identifier celles qui traduisent un transit. Effectuer tout ce travail à la main, c’est humainement infaisable. On a donc développé des logiciels qui calculent ces courbes de lumière. On confie ensuite ces courbes à des ­algorithmes qui les explorent individuellement pour détecter un transit – des équipes commencent même à s’intéresser à l’intelligence artificielle pour cette tâche. Cela nécessite une puissance de calcul considérable ».

Les humains n’interviennent qu’en fin de parcours, pour la phase de validation. L’idée étant d’obtenir une confirmation indépendante de la présence de l’exoplanète, grâce à la méthode de la vitesse radiale.

Changement de paradigme

Et, au terme de tout ce processus, quels sont les objectifs scientifiques de cette grande chasse aux planètes extrasolaires ? Comme le rappelle Sébastien Charnoz, « l’astronomie a vécu un changement de paradigme complet avec la détection de la première exoplanète. Depuis, on sait qu’elles sont très courantes dans la galaxie, que leur diversité est plus vaste que ce que l’on voit dans le Système solaire, plus grande que ce que l’on croyait auparavant ».

Pierre-Olivier Lagage cite ainsi des catégories d’astres qui ne sont pas représentées dans notre petit coin de Voie lactée, « comme les Jupiter chauds, près de leur étoile, ou bien les super-Terres. On veut comprendre ce qui explique cette diversité, comment ces planètes se forment, pourquoi notre Système solaire est tel qu’il est, etc. ». Et Sébastien Charnoz d’ajouter un autre questionnement, ­majeur : « Y a-t-il d’autres planètes habitables ? C’est la première étape avant de répondre à la question de la vie ailleurs dans l’Univers. »

« Le problème à l’heure actuelle, poursuit l’astrophysicien, est que si on détecte la présence de planètes, on a très peu d’informations sur elles : leur diamètre, leur masse, la distance qui les ­sépare de leur étoile, la présence d’une atmosphère. C’est très pauvre par rapport à ce que l’on sait sur les planètes du Système solaire. » La stratégie des exoplanétologues consiste donc à « pallier ce manque d’informations sur un objet particulier en cumulant des informations sur des milliers d’objets, explique Sébastien Charnoz. Avec cette approche big data, on pourra faire une sorte de sociologie des planètes, avoir des informations sur des grands ensembles, des familles d’exoplanètes, voir des comportements qui se répètent. C’est une approche nouvelle en astrophysique. » Pierre-Olivier Lagage ajoute, pour justifier cette stratégie statistique : « On a compris l’évolution des étoiles quand on a eu suffisamment d’étoiles. On veut faire la même chose avec les planètes. »

En réduisant les marges d’erreur sur la taille des planètes et en couplant le diamètre à la masse (obtenue grâce à la méthode des vitesses radiales), les astronomes auront des idées plus précises sur la densité des exoplanètes, un point crucial pour savoir s’il s’agit de corps constitués de roche, de glace ou de gaz. En poussant les instruments à leurs limites, il sera peut-être aussi possible de mesurer la réflectivité des planètes, ce qui donnerait des informations sur la présence de nuages ou d’aérosols dans l’atmosphère. Sébastien Charnoz est pour sa part ­engagé dans la mission Cheops pour tenter de savoir s’il existe des anneaux semblables à ceux de Saturne autour de certains astres. Il n’exclut pas non plus que, à condition de bien sélectionner sa cible, l’on puisse détecter un éventuel ­satellite de la taille de la Terre autour d’une exoplanète géante analogue à Jupiter…

D’autres projets dans les cartons

TESS, Cheops et le télescope James-Webb ne se sont pas encore envolés que la génération suivante de moissonneurs d’exoplanètes est déjà dans les cartons. L’ESA a ainsi en chantier, pour un départ programmé en 2024, la mission Plato (PLAnetary Transits and Oscillations of Stars), qui voudra découvrir des exoplanètes de type terrestre autour d’étoiles proches. Le 20 mars, l’Agence spatiale européenne a aussi sélectionné, pour 2028, Ariel (Atmospheric Remote-Sensing Infrared Exoplanet Large-Survey), un satellite censé prolonger l’œuvre du JWST en se consacrant entièrement à l’étude de l’atmosphère d’un millier d’exoplanètes.

Entre ces deux missions, pourrait partir – si jamais l’administration Trump ne parvient pas à l’annuler comme elle en a manifesté le désir – WFirst, vaisseau amiral de la NASA pour les années 2020, dont la mission est double : étudier la mystérieuse énergie noire qui accélère l’expansion de l’Univers mais aussi détecter et voir par imagerie directe de nouvelles exoplanètes.

Vue d’artiste du système extra-solaire TRAPPIST-1, situé à environ quarante années-lumière de la terre, qui comporte une étoile et au moins sept planètes, connues ont des rayons proches de celui de la Terre et des masses comparables. / NASA/ JPL-CALTECH

C’est en 2020 que l’agence spatiale américaine devrait sélectionner son prochain projet phare. Parmi les quatre candidats à l’étude, on ne trouve pas moins de trois missions sur les planètes extrasolaires, preuve supplémentaire de l’importance qu’a prise ce très jeune domaine dans l’astronomie actuelle : Habex (Habitable Exoplanet Imaging Mission) aurait pour but d’examiner des planètes de type terrestre dans la zone d’habitabilité de leur étoile, là où l’eau se trouve sous forme liquide ; Luvoir (Large UV Optical Infrared Telescope) serait un super-Hubble qui profiterait d’un miroir pouvant atteindre les 15 mètres de diamètre pour faire de la planétologie comparée et rechercher d’éventuels ­signes de vie sur des planètes habitables ; OST (Origins Space Telescope), parmi plusieurs ­objectifs, partirait en quête de l’eau et de biosignatures dans les autres mondes. Décollage prévu : quelque part autour de 2035.