Les ambassadeurs français (François Delattre) et américaine (Nikki Haley) auprès de l’ONU, à New York, le 9 avril. / Seth Wenig / AP

Il y a quasiment un an jour pour jour, Nikki Haley, la représentante américaine à l’ONU, avait brandi les photos insoutenables de jeunes enfants syriens gazés au sarin dans la localité de Khan Cheikhoun. Cette attaque avait conduit les Etats-Unis de Donald Trump à conduire leur premier raid aérien contre des positions du régime. Douze mois plus tard, les images des enfants de Douma, le dernier réduit rebelle de la Ghouta orientale, près de Damas, n’ont pas été exhibées aux yeux des ambassadeurs. « Le régime syrien n’aurait même pas honte », a-t-elle lâché, mâchoire serrée.

Mais les Etats-Unis envisageraient une « action imminente », selon M. Trump, qui a rencontré ses conseillers militaires dans la soirée du 9 avril à Washington. Le président américain et son homologue français se sont entretenus dans la nuit pour « réaffirmer leur souhait d’une réaction ferme de la communauté internationale face à ces nouvelles atteintes à l’interdiction des armes chimique », et ont convenu de « rester étroitement en contact ».

Un peu plus tôt dans la journée, le Conseil de sécurité de l’ONU s’était réuni en urgence, lors d’une session particulièrement tendue, pour évoquer l’attaque aux gaz toxiques sur Douma. Mené dans la soirée du 7 avril, ce « carnage chimique », selon les mots de l’ambassadeur français, François Delattre, aurait fait une cinquantaine de morts et plusieurs centaines de blessés. Les symptômes sont « typiques d’une exposition à un agent neurotoxique puissant, combiné au chlore pour en augmenter l’effet létal », a exposé le représentant du Quai d’Orsay.

« La France sera claire »

Dès la nouvelle connue, Paris et Washington avaient promis d’apporter une « réponse forte » à cette provocation du régime Assad. Les ambassadeurs ont donc esquissé, lors de ce briefing public, les contours d’une action contre le régime syrien sans évoquer clairement l’option militaire. Tout en colère rentrée, l’ambassadrice Nikki Haley a estimé, dans une déclaration très courte, que le moment était venu pour que « justice soit rendue » aux civils syriens. « L’Histoire se souviendra de ce jour comme de celui où le Conseil s’est acquitté de son devoir, ou au contraire comme du jour où il a démontré son échec total. Quoi qu’il en soit, les Etats-Unis vont réagir », a t-elle prévenu.

François Delattre, dans une logique de pression maximale sur Moscou, a été très ferme dans sa démonstration des responsabilités russo-syriennes dans l’utilisation d’armes chimiques. « Seules les forces armées syriennes ont un intérêt militaire à leur utilisation » car ces armes permettent « des avancées tactiques bien plus rapides qu’une arme conventionnelle », a-t-il accusé. Dans l’ouest de la Syrie, pas un avion ne peut décoller sans l’autorisation de la Russie, qui contrôle les airs. « Ces attaques sont donc intervenues soit avec l’accord tacite ou explicite de la Russie, soit malgré elle et en dépit de sa présence militaire », selon l’ambassadeur. Et de conclure : « La France assumera toutes ses responsabilités au titre de la lutte contre la prolifération chimique. La France sera claire, elle tiendra ses engagements et sa parole. »

Paris comme Washington, qui ont fait de l’emploi d’armes chimiques létales en Syrie une « ligne rouge », se trouvent maintenant sous pression. Pour justifier le passage à l’action militaire, les deux pays pourraient saisir de nouveau rapidement le Conseil de sécurité. Les Etats-Unis ont déjà fait circuler un projet de résolution qui pourrait être soumis à un vote dès mardi.

« Le scénario est écrit d’avance, estime un diplomate. Le veto russe est quasi assuré, mais il arrangera tout le monde : les Russes, qui prouveront qu’ils restent fidèles à leur ligne, et les Occidentaux, qui montreront qu’ils ont, de bonne foi, essayé toutes les options diplomatiques avant de recourir à la force. »

Le texte de la résolution, que Le Monde a pu consulter, renouvelle pour un an la Joint Investigation Mission (JIM), le mécanisme d’enquête réunissant des inspecteurs de l’ONU et de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, supprimé par un veto russe en novembre 2017. Il demande en outre au régime syrien de fournir les noms des pilotes qui auraient pu se trouver en vol le 7 avril à l’heure de l’attaque, ainsi que les plans de vol. Le représentant russe, Vassily Nebenzia, a d’ores et déjà averti du caractère « inacceptable » d’une telle résolution.

« Se réveiller rapidement »

Moscou se défend d’avoir permis la moindre attaque chimique et assure que ses experts, qui ont recueilli des échantillons sur le terrain de Douma, n’ont pas relevé d’agents neurotoxiques. Il s’agirait au contraire, pour l’ambassadeur russe, d’une « mise en scène » macabre organisée par les rebelles. Depuis Genève, le haut-commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al- Hussein, a appelé à un sursaut : « Le monde et en particulier les Etats dotés d’un droit de veto [au Conseil de sécurité] doivent se réveiller rapidement face aux dommages irréparables qui sont causés à l’un des piliers les plus importants du contrôle des armes », évoquant une violation manifeste de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques.

Selon l’organisation Human Rights Watch, 85 attaques chimiques ont eu lieu entre août 2013 et février 2018, dont « au moins 50 sont imputables au gouvernement syrien » en violation du régime de non-prolifération chimique. Si des frappes sont conduites contre le régime syrien, elles sont justifiées par la nécessité de « rétablir le tabou » sur l’usage d’armes chimiques qui risquerait de « pulvériser l’ordre international », assure un diplomate. Passée la tempête, il sera alors temps de travailler à « recréer un mécanisme d’enquête consensuel » impliquant la Russie.