Intervention des forces de sécurité, à Nanterre, lundi 9 avril. / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Alors que l’université de Nanterre commémore le cinquantenaire de Mai 68, une assemblée générale (AG) tenue, mardi 10 avril, par près de six cents personnes – étudiants, personnels administratifs et enseignants – a voté en rafale la démission du président de l’établissement, Jean-François Balaudé, la validation automatique des examens, le blocage et l’occupation reconductible de l’université jusqu’à la prochaine AG, jeudi 12 avril, ainsi que le lancement d’une pétition pour la libération de « camarades » en garde à vue au commissariat de Nanterre.

Le déclencheur de cette colère étudiante a été l’intervention musclée, lundi 9 avril, de CRS venus déloger, à la demande du président de l’université, des étudiants réunis dans un amphithéâtre pour discuter des moyens à mettre en œuvre pour s’opposer à la politique du gouvernement en général et à la loi Orientation et réussite des étudiants (ORE) en particulier. A l’issue de plusieurs heures de tentatives de discussions de la part des étudiants et de tentatives d’évacuation par les forces de l’ordre, les locaux ont été vidés de leurs occupants et sept personnes ont été interpellées et placées en garde à vue.

Du côté de la direction de l’université, on justifie cet appel aux forces de l’ordre par la nécessité de ne pas reproduire à Nanterre les blocages subis à l’université de Toulouse-Mirail, à Paris-VIII (Saint-Denis-Vincennes) ou Paris-I (Tolbiac)… « Ne pouvant plus avoir de contrôle sur cette partie de nos locaux, et en considération du contexte national, nous avons décidé de procéder à l’évacuation », explique la présidence dans un communiqué.

Une mobilisation réveillée par l’intervention des CRS

Couper court aux tentatives d’installation dans les locaux des militants et étudiants hostiles à la politique du gouvernement est une stratégie déjà employée par l’université en n’accordant pas, samedi 7 avril, le local demandé par la Coordination nationale étudiante (CNE), qui s’était déjà réunie à Nanterre. Une stratégie aux effets limités, puisque l’interdiction n’avait pas empêché la CNE de se tenir dans la nuit de samedi à dimanche et de voter un appel à la mobilisation des campus pour mardi 10 avril.

Toutefois, lundi encore, la mobilisation estudiantine restait faible à Nanterre. « Je n’ai vu qu’une centaine d’étudiants », affirmait, mardi matin, le président de Paris-Nanterre, Jean-François Balaudé sur RMC. Les militants les plus radicaux eux-mêmes l’avouent, sur un campus immense et ouvert de plus de 34 000 âmes, « il est très dur de bloquer », comme le concède Léna, en L3 de philosophie. « Lundi, nous n’étions qu’une vingtaine à nous mobiliser », reconnaît un autre étudiant. Le mouvement hostile à toutes les politiques gouvernementales piétine. Mais l’intervention des CRS pourrait sonner le réveil de Nanterre, cinquante ans après le mouvement de Mai 68. Ils sont quelques-uns à l’espérer.

« Balaudé démission » : tel est le mot d’ordre de l’AG organisée mardi dans un amphithéâtre bondé. A chaque fois que les deux mots sont prononcés, l’orateur s’assure une salve d’applaudissements. Après un état des lieux de la situation au sein de l’université, les orateurs se succèdent : étudiants, personnels administratifs, enseignants et même cheminots venus appeler à la convergence des mouvements. Tous dénoncent la décision du président Balaudé d’avoir demandé une intervention policière.

« Ce mode de gouvernement où on envoie des CRS pour empêcher toute discussion n’est pas possible. Arrêtez le massacre et descendez de votre tour », tonne au micro Sabine Fortino, enseignante en sociologie, à l’intention du président. Ils sont plusieurs professeurs à souligner le faux pas de leur président. L’intervention policière est « une erreur de gouvernance », déclare au Monde Patrice Maniglier, maître de conférences en philosophie. « Le rôle est de protéger les personnes, d’apaiser les tensions. Aujourd’hui, on constate que le blocage est amorcé. Le président a failli à sa mission », poursuit l’enseignant.

Les « regrets » du président de l’université

Côté militants, l’intervention des CRS est également perçue comme une aubaine. « Balaudé voulait empêcher la mobilisation, il a plutôt foiré », s’enthousiasme Bart, étudiant et membre du NPA. « Nous avons une dynamique, le mouvement est en train de prendre », se réjouit encore le militant qui appelle à une grève générale des personnels de l’université et des étudiants.

Toutefois la vague d’indignation pourrait retomber. « Il faut donc bloquer tout, et fort, avertit Mathias en L1. Il faut foutre le bordel et bouger rapidement plutôt que parler. » Agir vite et puissamment, c’est également le discours que sont venus porter deux cheminots Sud-Rail aux étudiants : « Nous tapons tous sur le même clou, nous allons taper de plus en plus. » Fonctionnaires, ouvriers, étudiants, « c’est la convergence qu’il nous faut, poursuit un étudiant orateur. Ensemble on arrivera à casser la tête de ce gouvernement ». 

Jean-François Balaudé n’a pas tardé à reconnaître son erreur : « Le symbole des CRS sur le campus est évidemment fédérateur. On ne doit pas avoir de CRS sur le campus, je regrette d’avoir eu à prendre cette décision », a-t-il déclaré sur RMC. A l’issue de l’assemblée générale, environ deux cents personnes se sont présentées devant le commissariat de Nanterre, pour demander la libération de leurs camarades.

Loin de la direction de l’université et de l’AG, Anna et Anaïs attendent un cours qui n’aura pas lieu. L’AG, elles n’y étaient pas. « Ils ont le droit de manifester, mais pas de nous empêcher de suivre nos cours et de passer nos examens. Nous sommes beaucoup à penser ça », affirment-elles.