Des rangers du parc des Virunga, dans l’est de la République démocratique du Congo, en avril 2018. / Laurence Caramel

Dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), le parc des Virunga, où ont trouvé refuge les derniers gorilles de montagne, est en deuil. Lundi 9 avril, six de ses gardes ont été tués dans une embuscade tendue par les Maï-Maï qui occupent le centre de la plus ancienne aire protégée d’Afrique.

Cette attaque – la plus meurtrière enregistrée depuis plusieurs années – fait suite à la multiplication des affrontements avec les groupes armés au cours des derniers mois. Le 1er avril, un autre garde avait été tué alors qu’il protégeait le chantier de la centrale hydroélectrique de Luviro, au nord-ouest du parc. « Les groupes armés veulent saboter nos actions en faveur de la population, mais nous ne nous découragerons pas », nous avait confié le directeur adjoint du parc, Innocent Mburanumwe, de retour des funérailles.

Classé au patrimoine mondial en péril

Pour sauver cet espace de 7 800 km², niché au cœur d’une des régions les plus densément peuplées et les plus pauvres d’Afrique, l’Alliance Virunga, créée il y a dix ans, mise sur le développement économique des zones limitrophes du parc. L’accès à l’électricité pour les 4 millions de personnes qui y vivent est son initiative majeure. Outre l’amélioration des conditions de vie, elle doit permettre de tarir l’une des principales sources de revenus des groupes armés : le commerce du charbon de bois. Le pillage des forêts du parc pour la carbonisation rapporterait 34 millions de dollars par an (27,5 millions d’euros), selon les estimations.

L’Alliance réunit l’Institut congolais pour la conservation de la nature (ICCN), des ONG de conservation, des bailleurs de fonds au premier rang desquels l’Union européenne et la fondation américaine Howard Buffett, ainsi que l’Unesco. Le parc – qui, outre les gorilles de montagne, héberge d’importantes populations d’éléphants, d’hippopotames, d’okapis, de chimpanzés – est classé au patrimoine mondial en péril depuis 1994.

Depuis plus de vingt ans, il est le sanctuaire de plusieurs groupes armés. Outre les Maï-Maï, qui se financent essentiellement en prélevant des taxes sur les pêcheurs vivant sur les rives du lac Edouard, il abrite des groupes issus des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), qui tiennent le trafic du charbon de bois. Ces hommes se nourrissent de viande de brousse et tuent parfois des éléphants pour leur ivoire, qu’ils écoulent en contrebande via l’Ouganda ou le Rwanda voisins.

Le Centre de recherche sur l’environnement, la démocratie et les droits de l’homme (Creddho), basé à Goma, a ainsi documenté un système très organisé de jetons mis en place par les milices pour contrôler que les pêcheurs se sont acquittés de leur redevance. « Chaque pirogue doit payer 10 000 francs congolais [5 euros] par semaine ; en échange, elle reçoit un jeton. Si un pêcheur est surpris sur le lac sans ce jeton, son embarcation, son téléphone, sa nourriture et ses autres effets lui sont confisqués », détaille sa coordinatrice, Florence Sitwaminya. Quelque 2 000 pirogues alimenteraient ce circuit.

Industrie du kidnapping

Les enlèvements sont aussi devenus une industrie hautement lucrative et touchent aussi bien le personnel des ONG internationales que le plus modeste des paysans ou encore les prêtres. Un représentant du diocèse de Goma a été libéré le 6 avril après plusieurs jours de détention contre le versement d’une rançon dont le montant n’a pas été révélé. Les ravisseurs réclamaient 500 000 dollars. Quelques jours auparavant, trois civils avaient été exécutés près de Rutshuru faute d’avoir pu réunir la somme demandée. Des familles racontent avoir dû s’endetter au-delà du supportable pour sauver leurs proches. Sur la nationale 2, la route principale qui traverse le parc, la circulation se fait depuis fin 2016 uniquement sous escorte des rangers et de l’armée.

Par la force des choses, les gardes se sont transformés en soldats garants de la sécurité des civils comme des animaux. « Nous avons dû apprendre à travailler autrement pour défendre le parc et nos frères », explique Innocent Mburanumwe, le ton grave et déterminé. Des formateurs belges ont entraîné ses hommes, dont le nombre s’élève aujourd’hui à près de 800 et qui ont reçu de meilleurs équipements. « Nous allons reprendre le contrôle du parc. C’est une question de temps », veut-il croire.

Son espoir se fonde sur des signes encore ténus : la vie qui, malgré tout, s’améliore là où l’électricité et l’eau ont pu être installées, les touristes plus nombreux qu’il y a un an dans l’enclave des volcans Mikeno et Nyiragongo – tenue sous haute surveillance – et, plus que tout, le nombre de gorilles des montagnes qui continue d’augmenter, même si l’espèce reste classée en danger d’extinction.

A l’approche de la cinquantaine, ce fils de ranger, qui arpente les versants escarpés des Virunga depuis deux décennies, a connu tellement de moments sombres. « Nous n’accepterons jamais que des animaux meurent tant que nous serons en vie », assure-t-il. Dans ces rudes terres du Kivu, où l’engagement et l’abnégation de ces défenseurs de la nature forcent le respect, nul ne songerait à en douter. Cent soixante-quinze ont déjà donné leur vie.