LES CHOIX DE LA MATINALE

Nos trois coups de cœur ce mercredi : le film d’animation de Wes Anderson et deux documentaires français.

CRÉDO CANIN POUR LA DIGNITÉ DES VIVANTS : « L’Ile aux chiens », de Wes Anderson

L'ÎLE AUX CHIENS Bande Annonce ✩ Wes Anderson, Animation (2018)
Durée : 02:37

L’animation réussit bien à Wes Anderson, dandy texan et auteur d’une petite dizaine de films élégants et tirés à quatre épingles. Huit ans après Fantastic Mr. Fox (2010), c’est la deuxième fois qu’il s’adonne à l’animation en volume.

L’Ile aux chiens se déroule dans un Japon dystopique, pays réinventé dont l’esthétique cérémonieuse offre un terrain de jeu idéal aux compositions frontales et guindées du cinéaste. Dans la mégalopole fantaisiste de Megasaki, le maire Kobayashi décrète le bannissement de tous les chiens sur une île-décharge du littoral, à la suite d’une épidémie de grippe canine qui sème l’insalubrité. Par démagogie, il y envoie son chien, nommé Spots. C’est compter sans l’attachement de son fils, Atari, qui fugue illico en direction de l’île pour retrouver son compagnon.

Une effervescence romanesque menée tambour battant, où le simple fait de raconter devient en soi une entreprise gigogne et ludique, dans un contexte de mise au rebut des objets comme des êtres vivants qui est quant à lui clairement politique. Mathieu Macheret

« L’Ile aux chiens », film d’animation américain et allemand de Wes Anderson. Avec les voix de Bryan Cranston, Edward Norton (1 h 41).

CALAIS, PAVANE POUR UNE « JUNGLE » DÉFUNTE : « L’Héroïque Lande », de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval

Rencontre(s) avec E. Perceval et N. Klotz - L'héroïque lande - extrait
Durée : 02:00

Images de la « jungle » calaisienne, où douze mille réfugiés dans l’attente d’une improbable délivrance sont confinés à l’hiver 2016. Le cinéaste Nicolas Klotz les a rejoints. Le film, tourné de janvier 2016 à février 2017, semble ­remonter des entrailles d’une ville-monde grouillante de vie, et en même temps portant les possibilités de son effacement (qui adviendra).

Tentes de fortune, humanité en veille constante, boutiques précaires, tendresse des babioles et des loupiotes, froid qui mord, braseros dans la nuit, boulanger à demeure, troc de puces de téléphone, installations de bric et de broc, réchauds portatifs, tout un chez-soi bricolé les pieds dans la boue. Parmi des foules indistinctes et mouvantes, des personnages reviennent. Le film est assez long, suffisamment travaillé pour qu’on les identifie. Ils ont la lueur de la jeunesse, cette légèreté en dépit de tout, cet espoir en dépit du pire, qui brûle au fond des yeux. Qu’il en faille si peu, de ces yeux, de ces visages, pour nous rappeler à notre fraternité avec eux rend, par contraste, démentielles les raisons qui cherchent à nous la faire oublier.

Film infiniment précieux donc, qui confère une tenue, met un peu de beauté dans notre désordre, rend ceux-là mêmes qu’on voudrait nous interdire de voir à leur humanité, à leur fragilité, c’est-à-dire à notre condition ­commune. Jacques Mandelbaum

« L’Héroïque Lande », documentaire français de Nicolas Klotz et Elisabeth Perceval (3 h 45).

SUPERHÉROÏNE DU MAUVAIS RÊVE AMÉRICAIN : « Southern Belle », de Nicolas Peduzzi

SOUTHERN BELLE Bande Annonce (2018) Documentaire
Durée : 02:12

Dans ce documentaire, qui est aussi son premier long-métrage, Nicolas Peduzzi nous plonge dans le monde de Taelor F., jeune millionnaire texane qui le traverse comme un ange de l’Apocalypse. Des rondeurs camouflées dans de petites robes évasées, de jolies jambes fines invariablement juchées sur des plates-formes, des boucles d’or lui dégoulinant jusqu’au creux des reins, le sac Vuitton greffé au bras et la cigarette au bec, Taelor se pose là.

Elle est une survivante, rescapée du simulacre de télé-poubelle dans lequel elle a grandi, dont elle est le pur produit. Son père a fait fortune dans l’immobilier. Il est mort quand elle avait 14 ans, peu de temps après avoir divorcé de sa mère. Celle-ci aurait alors consacré son énergie à disputer à la gamine l’héritage dont elle s’est retrouvée l’unique légataire.

Dans ce film qui, sans elle, n’aurait guère plus de profondeur qu’un reportage à la « Strip-tease », elle fait souffler un vent cassavetien. La mélancolie ravageuse qui sourd sous son masque d’indifférence la rend à la fois attachante et sublime. L’Amérique fracassée de Trump a trouvé sa Gena Rowlands. Isabelle Regnier

« Southern Belle », documentaire français de Nicolas Peduzzi (1 h 30).