Documentaire sur France 5 à 20 h 55

Il y a parfois, au détour d’une soirée télé, des programmes qui bousculent, dérangent, poussent à la réflexion. Le documentaire de Claire Lajeunie est de ceux-là. La réalisatrice, habituée aux sujets délicats – femmes sans domicile fixe, ­enfants maltraités, mères célibataires, malades mentaux –, donne ici la parole à des hommes et à des ­femmes aux origines sociales et aux parcours très différents, mais dont le point commun est la ­pauvreté financière.

Les statistiques ­distillées à bon escient suscitent la stupeur, même si aucune donnée chiffrée ne provoque autant d’émotion que la parole de ceux qui ­témoignent ici. Aujourd’hui, neuf ­millions de personnes (un ­Français sur sept) vivent sous le seuil de pauvreté, avec moins de 1 015 euros par mois. Un enfant sur cinq est en ­situation de grande précarité. Des centaines de ­milliers de gens ­doivent se ­débrouiller avec l’équivalent de 7 euros par jour. Hors chômage, les travailleurs pauvres sont ­estimés à deux millions. ­Enfin, un million de personnes âgées ont moins de 1 000 euros par mois pour subvenir à leurs ­besoins.

La force de ce documentaire tient d’abord au choix des ­personnes qui parlent de leurs difficultés à s’en sortir. De Matteo (12 ans) et sa sœur Maeva (15 ans), près d’Angers, à Marianne (62 ans), de Tourcoing ; de Sébastien (33 ans), à Strasbourg, à ­Isabelle (54 ans), près de ­Mulhouse, en passant par Erwan (45 ans), à ­Paris, toutes et tous ­expriment, devant la caméra, des sentiments complexes. Que ce soit la ­tristesse, la colère, la honte, la joie de pouvoir s’offrir un petit plaisir ou la peur de ce qui les attend, les mots frappent au cœur.

« Pauvrophobie »

« Dans ce pays, il y a une espèce de pauvrophobie qui s’installe », ­estime Sébastien, titulaire de deux masters, hébergé dans un ­logement social après avoir vécu six mois dans sa voiture à la suite de la perte d’un emploi confortable, trois ans plus tôt. Une fois tout payé, ce trentenaire doit jongler avec l’équivalent de 6,60 euros par jour. Créateur d’un journal en ­ligne (L’Archipel des sans-voix), il participe à des réunions avec d’autres personnes en difficulté financière.« C’est pas parce qu’on est pauvre qu’on est débile ! Au CNRS de Grenoble, on a des chercheurs qui sont au RSA », rappelle à juste titre l’un des participants.

Matteo et sa sœur Maeva, près d’Angers. / L2FILMS

Matteo, gamin au regard triste et à la voix douce, vit au sein d’une famille recomposée dont les ­revenus s’élèvent à 800 euros par mois. « C’est un peu difficile ­l’argent. On vit avec très peu, mais on se débrouille. » Se débrouiller ? Il faut bien. « Il me manque à peu près 800 euros par mois. C’est pas facile à mon âge de demander de l’argent à sa mère », résume Erwan, kiosquier à Paris, divorcé et père d’une fille dont il s’occupe avec attention. L’argent qui ­man­que pour l’essentiel – pas le superflu –, c’est aussi le quotidien d’Isabelle, une jeune grand-mère énergique qui, après avoir ­longtemps travaillé en usine, multiplie les ménages et survit avec 460 euros. « Quand tu es dans la misère, tu apprends à te priver de tout. C’est épuisant, usant. » Marianne, également retraitée, perçoit une retraite de 672 euros. « J’ai habité à Paris, gagné beaucoup d’argent, tout claqué », se rappelle-t-elle en souriant. Tombée gravement malade, elle n’a pas retrouvé d’emploi stable. Ses enfants l’aident énormément. La France pauvre ? Elle n’est peut-être pas en marche, mais elle est debout.

Pauvres de nous, de Claire Lajeunie (France, 2018, 65 min).